Et si évaluation rimait avec concertation ?

 

Espaces naturels n°52 - octobre 2015

Le Dossier

Marie-Mélaine Berthelot et Thierry Mougey, FPNRF

Les programmes européens Valmer et Wecan, impliquant des PNR et portant sur les services rendus par certains écosystèmes (herbiers de zostères, bocages et prairies humides) montrent que l'association des acteurs locaux permet une appropriation et de donner du sens à la nécessité de préserver un capital naturel.

Atelier participatif d'évaluation des services rendus par les écosystèmes.

Atelier participatif d'évaluation des services rendus par les écosystèmes. © Olivier Delvaux-Espaces naturels régionaux Nord-Pas de Calais (ENRx)

Pour favoriser l'engagement des acteurs du territoire, ils les ont associés à leur projet d'évaluation, dans une démarche participative. Pour le Parc naturel régional du golfe du Morbihan, il s'agissait de travailler avec les pêcheurs, les plaisanciers, et d'autres, sur les herbiers de zostères. Pour les PNR de l’Avesnois et de Scarpe-Escaut, le but était de déterminer de quelle façon les agro-écosystèmes bocagers et de prairies humides peuvent être des catalyseurs de croissance économique au bénéfice des acteurs territoriaux (agriculteurs, propriétaires de gîtes ruraux, élus, associations de randonnées…).
Le rôle « d’assemblier » des PNR, à la croisée des enjeux écologiques et économiques est idéal pour mobiliser les acteurs locaux et ainsi favoriser la prise de conscience de l'intérêt de la préservation des écosystèmes qui constituent l’identité patrimoniale de leurs territoires.

L'apport des scientifiques était important, mais il fallait laisser la parole aux usagers. « Les gens ne se satisfont plus de discours tous faits. Quand ils vont chez le médecin, ils regardent aussi sur Internet. Là, c'est pareil, il fallait que les uns entendent le point de vue des autres pour effacer la barrière », raconte Gérald Duhayon, du PNR Scarpe-Escaut. « Avec le soutien de l'Agence des aires marines protégées et de l'Université de Bretagne occidentale notamment, nous avons travaillé d'abord en petits groupes qui avaient des enjeux communs, puis nous avons échangé tous ensemble. Ainsi, les points de vue ont pu vraiment évoluer », poursuit Ronan Pasco, du PNR golfe du Morbihan.

Même si un travail de bibliographie est fait et que des spécialistes sont présents, une méthode participative, par ateliers multi-acteurs facilite l’expression et l’implication de ceux-ci. L’animation de ces temps d’expression, permet en premier lieu la représentation des services rendus des écosystèmes ciblés, la caractérisation des évolutions constatées et souhaitables de ces derniers et enfin l’identification des mesures à mettre en oeuvre. Les données scientifiques, économiques d’évaluation permettent d’enrichir le débat, la compréhension et de conforter l’importance des services rendus. Le terme « service écosystémique » peut être utile dans la discussion, mais « service rendu », par exemple, est plus facile à utiliser dans un premier temps. Spontanément, des quatre services écosystémiques (approvisionnement, régulation, culturels et de support) ce sont les services d'approvisionnement (les ressources alimentaires issues de la mer dans le golfe du Morbihan, la fourniture d’eau potable en Scarpe Escaut, de bois-énergie en Avesnois…) qui sont d'abord mis en avant par les acteurs locaux. C'est également ce qui est ressorti d’une enquête effectuée auprès de six cents habitants du golfe du Morbihan, avec la méthode des choix expérimentaux, pour connaître leurs préférences concernant la gestion des herbiers. Plus difficiles à faire sortir, les services culturels (lien avec l'héritage, le patrimoine…) ou de régulation, notamment ceux qui jouent à une large échelle. Il peut même y avoir une certaine limite à l'exercice concernant les services pour lesquels on manque encore de connaissances scientifiques, par exemple sur les interactions écosystèmes/climat.

Selon David Moulin (ENRx), l’un des points importants de ces travaux d’évaluation participative est celui de la représentation par les groupes d’acteurs des interdépendances entre les services rendus, d’une part, et des interactions entre les actions des acteurs et ces services écosystémiques, d’autre part.

Le rôle central de l'animateur, dont la neutralité est déterminante, est d’ouvrir les horizons, en utilisant les différents points de vue représentés. « Sur les herbiers, les gens ne se rendaient pas compte de ce dont ils profitaient cite Ronan Pasco. Par exemple, un promeneur en kayak ne pense qu'à la surface. Mais il pratique aussi la pêche. On l'amène à faire le lien, qu'il ne faisait pas de lui-même, entre les herbiers et les poissons pêchés. » « Il y a eu des débats au sujet de l'évaluation purement monétaire. Est-elle vraiment nécessaire? Peut-on s'en passer? Au final, ce chiffre ne représentant qu’une partie de la valeur totale des herbiers, aurait pu paraître faible, prévient Juliette Herry. Ce prix de l'herbier de zostères aurait pu être plus faible que l'achat de « mouillages écologiques » ! Notre évaluation s’est donc basée sur d’autres critères sociaux et environnementaux. » « Effectivement, complète Gérald Duhayon, nous nous sommes aussi refusés à n'utiliser que le monétaire. C'est un calcul de court terme. Si on est sur des enjeux de crues, la valeur se voit sur des dizaines d'années, alors qu'au court terme on arrive à des sommes dérisoires. »

Et l'intérêt pour la biodiversité dans tout ça ? L'entrée par les services écosystémiques, mieux qu'une démarche classique de sensibilisation, permet à chacun de voir le patrimoine commun à l'aune de ses propres intérêts. La méthode participative multi-acteurs permet l’interactivité, la transversalité des échanges, une réflexion collégiale, et crée des conditions propices au développement d’une vision globale, systémique. Grâce à l’utilisation d’une typologie, le pilote de la démarche est sûr de n’oublier aucun des services. On ajoute d'emblée la notion de bienêtre et la prise en compte de l’intérêt de l’homme. Les pêcheurs mettent en avant la biodiversité qu'ils vendent (poissons), les plaisanciers des symboles forts de la biodiversité (hippocampes…), les acteurs du tourisme la biodiversité qui attire de nombreux birdwatchers (bernache cravant…).

Il faut être vigilant car on pourrait facilement optimiser un service écosystémique au détriment de la biodiversité. Si l'on prend le service de pollinisation, on peut mettre des ruches et des cultures mellifères, en remplacement de milieux naturels existants et de la pollinisation effectuée par les pollinisateurs sauvages.

On pourrait aussi se retrouver, sur un territoire possédant une mosaïque d'écosystèmes différents, avec des écosystèmes de « moindre valeur » aux yeux des acteurs locaux mais à forte valeur écologique. Ce fut le cas en Scarpe-Escaut avec certaines zones humides, les tourbières, qui peuvent, au premier abord sembler rendre moins de services perçus comme importants par les acteurs.

Au final, ces projets ont permis à la fois de se familiariser avec les concepts, mais aussi de produire du sens de façon collective. L'adaptation a d'abord eu lieu en interne des équipes des parcs : le travail réalisé nécessite une appropriation par les personnes en charge de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme, de l’agriculture, etc. En Scarpe-Escaut et en Avesnois des scenarios sur des services considérés prioritaires par les acteurs territoriaux ont été établis avec des mesures à mettre en place.

Dans le golfe du Morbihan, le travail autour des zostères permet de « mieux adapter les mesures de gestion, avec l'ambition d'associer le partage d'un espace convoité, avec la préservation d'un milieu exceptionnel mais fragile », précise Matthieu Le Guern de la DDTM. Et en Scarpe-Escaut, « il a permis à des gens qui n'ont pas l'habitude de se rencontrer, de dialoguer. Cela facilitera le travail de prise en compte des zones humides sur le territoire », conclut Estelle Chevillard, de l'Agence de l'eau Artois-Picardie.