Le dossier lu par... Philippe Gamen
Espaces naturels n°52 - octobre 2015
Philippe Gamen, président du PNR du massif des Bauges
Quand un éleveur plantait une haie pour abriter son troupeau ou quand une commune conservait un bras mort de cours d’eau pour servir de zone d'expansion de crue… ils utilisaient les services écosystémiques sans le savoir ! Et puis, à partir de la révolution industrielle et encore plus à partir de la seconde guerre mondiale, l’Homme a commencé à ignorer ces services, les a oublié ou a cru pouvoir s’en passer grâce aux avancées technologiques. Des digues ont remplacé les dunes et les espaces de submersion marine, les haies ont été arrachées pour gagner de la surface agricole, les pesticides ont remplacé les prédateurs des parasites des cultures, etc. Tout cela nous a conduit vers une 6e crise d’extinction de la biodiversité, notre assurance-vie. Aujourd’hui, les travaux de recherche remettent les services écosystémiques au goût du jour. Ce qui était connu empiriquement et qui correspond au « bon sens paysan » de nos campagnes est devenu scientifiquement démontrable, évaluable.
Les gestionnaires d’espaces naturels peuvent donc s’emparer de tous ces travaux pour donner un second souffle à leurs actions. Dans un contexte où les pressions sur la biodiversité augmentent, où les milieux naturels font l’objet d’usages de plus en plus nombreux et divers, il nous faut nécessairement, et de plus en plus, rendre des comptes, justifier nos choix, démontrer l’intérêt de nos actions, concilier les usages, trouver des compromis acceptables et des solutions alternatives crédibles. Pour cela, des outils de dialogue sont indispensables, notamment pour échanger avec les porteurs de projets économiques, avec ceux qui donnent des avis sur ces projets ou qui les financent. Ces outils nous permettent aussi de redonner la parole aux acteurs des territoires. Agriculteurs, pêcheurs, propriétaires de gîtes ruraux, élus, habitants, etc., si on les accompagne dans le processus, redonnent de la valeur aux garrigues (voir page 33), aux herbiers de zostères, aux zones humides ou au bocage (voir pages 34 et 35), aux « prairies fleuries »...
Bien-sûr, le concept de services écosystémiques est anthropocentré, et il nous faut continuer à sensibiliser à la biodiversité pour elle-même, éviter d’oublier les services culturels, ne pas valoriser uniquement les usages directs à des échelles de temps courts, être vigilants pour ne pas optimiser un service au détriment de la biodiversité, ne pas tomber dans la marchandisation du vivant, rappeler qu’économie n’est pas synonyme de financiarisation ou de monétarisation, qu’utiliser le concept de services écosystémiques n’oblige pas à calculer des prix ou des coûts mais peut consister à travailler sur des valeurs… (voir aussi le n° 74 de la revue Parcs) C’est possible et c’est tout notre rôle !
Ce dossier nous le montre : nous sommes encore au début du chemin. Mais la route est tracée et nous pouvons nous inspirer des pionniers.