Bois-énergie

Vertus de l'équilibre (en DD comme ailleurs)

 

Espaces naturels n°57 - janvier 2017

Le Dossier

MMB

Est-ce qu'à vouloir bien faire, on peut trop en faire en matière de développement durable (DD) ? La demande de biomasse augmente, et donne même lieu à de véritables projets industriels, impactant les espaces naturels. Les gestionnaires doivent trouver leur place dans une politique nationale, la transition énergétique, qui les dépasse.

Grumes dans le Parc national des Cévennes.

Grumes dans le Parc national des Cévennes. © Parc national des Cévennes

Que le bois soit une énergie renouvelable, personne ne le conteste. Sauf que c'est une ressource limitée. Son utilisation repose donc sur la bonne gestion des forêts, et la prise en compte d'intérêts parfois divergents : propriétaires, exploitants, promeneurs, naturalistes, industriels... Dans le contexte d'une demande sociale et politique forte pour les énergies renouvelables, vient la question de la sur-exploitation. « Notre société formule de nombreuses attentes vis-à-vis de la forêt : support de services écosystémiques indispensables à l’homme, espace paysager et récréatif, protection contre certains risques naturels… Elle plébiscite par ailleurs de plus en plus le matériau bois pour la construction, la menuiserie, le chauffage.

En cela le citoyen doit participer à placer ce curseur entre économie, protection des patrimoines et enjeux sociaux. La biomasse est une matière première de l’écosystème. Certes, gérée correctement, elle a l’avantage de pouvoir être renouvelée sur des pas de temps compatibles avec l’échelle humaine, contrairement aux énergies fossiles. Mais, tout reste une question d’équilibre entre niveau et rythme de prélèvement d’une part, et disponibilité d’autre part, » explique Sophie Giraud, responsable du pôle forêt au Parc national des Cévennes.

« Une gestion déséquilibrée de l'écosystème, une exploitation trop forte, pose trois principaux problèmes. D'abord en termes de biodiversité : la disparition du couvert est néfaste pour de très nombreuses espèces. Ensuite, bien sûr, pour le paysage : c'est une question de cadre de vie pour les habitants, mais aussi d'attractivité pour le tourisme. Enfin, en particulier en zone méditerranéenne, il y a l'enjeu de la protection contre l'incendie, » complète Aline Salvaudon, chargée de mission espaces naturels au Parc naturel régional du Luberon.

De façon caricaturale, pour évaluer les quantités de bois disponible, on peut calculer des volumes de bois que la forêt est censée produire chaque année. Mais ce serait oublier les contraintes matérielles qui font qu'on ne peut pas tout exploiter de la même façon. Certains sites sont peu accessibles. La configuration de la propriété foncière fait que toutes les surfaces boisées ne sont pas utilisables.

Selon le type de coupe, son intensité, sa surface et la qualité de conduite du chantier, les impacts sur l’écosystème, les sols, les paysages sont très variables. Une coupe rase de grande surface, qui plus est avec des cheminements dans le sens de la pente, conduit à une forte dégradation des sols et une perte des espèces forestières à faible capacité de dispersion. « Par ailleurs, précise Sophie Giraud, la biodiversité des écosystèmes forestiers est corrélée à la maturité des peuplements et au développement, notamment des gros bois et des stades de sénescence forestière. Ainsi, des coupes trop rapides conduisent à une perte de biodiversité. » À l’inverse, des éclaircies ou modes de gestion plus progressifs et continus permettent de mieux concilier les enjeux. Et pour cela, c'est toute la chaîne économique qui doit être convaincue. C'est le rôle des chartes de mettre tout le monde autour de la table et de négocier des bonnes pratiques à tous les maillons de la chaîne pour protéger la ressource, mais aussi prendre en compte les intérêts des habitants ou d'autres secteurs économiques comme le tourisme. « Si le détenteur de la ressource, le propriétaire, est convaincu de son intérêt à la gérer, c'est-à-dire à définir des prélèvements et des modalités de gestion compatibles avec la protection des sols, des peuplements, des paysages et patrimoines naturels, il en sera le meilleur garant » ajoute Sophie Giraud. Toujours est-il que les espaces naturels, défenseurs tant de la biodiversité que du développement des territoires, se retrouvent devant une équation épineuse quand la demande devient trop forte.

« La transition écologique est vertueuse si elle tend à diminuer la pression qu’exercent les activités humaines sur les ressources naturelles. Un projet pris individuellement peut être acceptable, mais ce sont parfois les perspectives de développement et de cumul qui présentent des risques » alerte Sophie Giraud.

Aline Salvaudon fait le même pronostic sur son territoire. « Un développement fort de la demande en bois-énergie peut entraîner une sur-valorisation du bois de mauvaise qualité au détriment du bois d’oeuvre. Les exploitants vont privilégier les coupes plus faciles, ce qui oriente de fait les forêts vers une gestion peu durable en contradiction avec ce qu'on essaie de développer par ailleurs. » En effet, le PNR a soutenu le développement de chaufferies boisdepuis quinze ans. L'approvisionnement (3 000 tonnes par an) est assuré en local, dans le respect d'une charte forestière qui organise la filière conformément aux valeurs défendues par le PNR.

Cet équilibre est aujourd'hui remis en cause par l'installation à proximité du territoire du PNR du Luberon de la centrale électrique à bois de Gardanne. Ce projet est largement soutenu par de l'argent public et prend place dans la transition écologique encouragée par le ministère en charge de l'écologie et de l'énergie. Faire basculer la production
électrique vers les énergies renouvelables, voilà un choix politique qui ne relève pas des instances des espaces naturels protégés. Sur le fond, ils sont plutôt susceptibles d'adhérer à l'intention, qui va dans le même sens que ce qu'ils défendent. Parc naturel régional du Luberon et Parc national des Cévennes vont tous deux être largement impactés à terme par la centrale, puisque l'entreprise s'est engagée à réduire progressivement l'importation de bois étranger. Le plan d'approvisionnement prévoit de mettre en particulier à contribution les régions Paca et Occitanie. Les deux établissements ont adopté des postures différentes.

Le parc national ne s'est pas estimé légitime à juger le projet. Il a choisi un positionnement pragmatique, « en cohérence avec les outils qu’il peut maîtriser : privilégier le travail
de concertation sur les modalités de gestion et de prélèvement, continuer à développer et diffuser les connaissances sur les enjeux environnementaux et s’impliquer pour leur prise en compte dans les plans de gestion, par voie réglementaire ou non » explique Sophie Giraud. Pour elle, le point le plus délicat du positionnement reste cependant l’intégration, ou pas, d’inconnues comme les perspectives supposées, au-delà des chiffres actuels, de développement du projet, ou de projets similaires.

Pour les élus du PNR du Luberon, il est d'ores et déjà clair que le projet n'est pas soutenable sur leur territoire. Le parc est à l’origine de recours administratifs pour faire annuler la mise en route de la centrale. Il a en effet considéré qu'il était dans son rôle en s'opposant à la centrale, dont il dénonce le principe même : « Utiliser le bois pour fabriquer de l'électricité n'est pas du tout efficace, on est à 30 % de rendement. Ce projet, qui est de plus sur-dimensionné par rapport à la ressource locale, n'aurait jamais dû être retenu pour être financé par de l'argent public » clame Aline Salvaudon. Ainsi, le PNR semble dire qu'il ne suffit pas de subir les pressions extérieures, c'est aussi le rôle du gestionnaire d'espace naturel que de savoir porter une parole forte sur des choix de société, y compris en menant des actions judiciaires.

Pour le moment, deux ans après la date prévue, la centrale n'a pas été mise en route.