À pas feutrés, les itinéraires de sport en nature
Espaces naturels n°37 - janvier 2012
Bénédicte Lefèvre
Alfa Environnement
Marie-Mélaine Berthelot
Aten
Missionnée pour planifier les pratiques sportives à l‘échelle départementale, la Cdési apparaît comme l’unique espace de conciliation entre les différents acteurs : sportifs, propriétaires, agriculteurs, gestionnaires, chasseurs, pêcheurs…
En 2000, le code du Sport impose aux départements de mettre en place une Commission départementale des espaces sites et itinéraires relatifs aux sports de nature (Cdési). Leur mission première vise à élaborer un Plan départemental des espaces sites et itinéraires (Pdési). Onze ans plus tard, le projecteur se braque sur l’aspect positif : avoir (enfin) réuni les acteurs des sports de nature et les propriétaires ou gestionnaires d’espaces naturels. Un bon point, même si le degré d’implication des protagonistes relève de la bonne volonté de chaque département.
Feu vert. Effectivement, le dialogue est instauré. François Hausherr, chargé de mission au Pôle ressource national des sports de nature1 (et donc représentant de l’aspect sportif), constate le renversement de situation. « Depuis deux ans, on se parle mieux. » Pourtant ce n’était pas gagné, renchérit Roger Estève du Conservatoire du littoral, et défenseur du patrimoine naturel. « À l’origine, les uns véhiculaient l’image de sectaires rejetant toute activité humaine de leur paradis. Les autres voulaient jouir d’une liberté sans contrainte. À force de dialogue, les deux parties se rendent compte qu’elles aiment, chacune à sa manière, le patrimoine naturel. »
« Nombre de sportifs sont aujourd’hui demandeurs de conseils. Au fur et à mesure des échanges, ils ont compris que réduire, ou au moins mesurer, les impacts de leur pratique sur le milieu naturel et sur les espèces permet de pérenniser leur activité, reprend François Hausherr. Les organisateurs se rendent compte que, s’ils veulent durer, il faut intégrer l’activité sportive à l’espace naturel, même si c’est contraignant. L’évaluation d’incidences au titre de Natura 2000 a ainsi pris un sens concret qu’elle n’avait pas auparavant. »
Plus précisément encore, les zones protégées sont perçues comme des laboratoires. Les participants à la Cdési voient aujourd’hui dans chaque cas, une expérience modélisable dont ils pourront s’inspirer à l’avenir.
Ainsi, côté dialogue, les voyants sont au vert ; pas sans bémol cependant. En effet, la démarche mériterait un suivi avec notamment, la constitution d’un recueil d’expériences ou encore une évaluation systématique. La culture de la pédagogie orale préside encore trop dans ces jeunes instances.
Et pourtant… Les commissions départementales trouvent parfois des applications inespérées au-delà des plans qu’elles sont chargées de mettre en place. Ainsi, dans les Côtes d’Armor, les partenaires « de la nature » jouent le jeu. Les Espaces naturels sensibles, le Conservatoire du littoral, la Dreal, des associations regroupées au sein de Côte d’Armor Environnement, le Géoca (groupe d’études ornithologiques), et d’autres invités, telle la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), ont choisi d’aller au-delà de la démarche institutionnelle. Ensemble, ils ont mis en place un « acte d’engagement » pour les très nombreuses manifestations sportives de pleine nature (notamment sur le littoral). Les organisateurs y trouvent noir sur blanc leurs responsabilités en matière d’environnement.
Par ailleurs, le département utilise également ce réseau pour faire valider les tracés de sites et itinéraires de course. « Au départ les sportifs nous regardaient avec de gros yeux : “c’est quoi un arrêté de biotope ?”, raconte Jacques Burlot du conseil général 22. Maintenant, ils sont demandeurs d’informations. Quand on sait qu’il peut y avoir 2 500 personnes sur un trail, on perçoit tout l’intérêt d’une telle charte ! » Et, pour preuve des bons résultats, l’agent territorial explique que les organisateurs du championnat de France de kitesurf sont venus, d’eux-mêmes, pour travailler avec la LPO sur le tracé. Ainsi du temps des conflits, on est désormais passé à l’âge de la négociation.
D’autres freins. Certains départements sont moins avancés que d’autres, qui ont démarré parfois avant même d’avoir attendu les directives nationales. Mais, globalement, la validation des Pdési et leur traduction sur le terrain restent encore timides. L’ambition de certains départements est plus ou moins marquée et des blocages sont parfois encore liés aux rouages économiques, aux conflits d’usage. En l’occurrence, on comprend les enjeux quand on sait que certains prestataires jouent leur chiffre d’affaires sur l’exploitation d’un espace naturel. La relation avec les propriétaires rend également les protocoles d’accord lourds et longs à mettre en place. Pour un circuit VTT par exemple, les modalités de conventionnement deviennent vite fastidieuses face à des centaines de propriétaires. On n’omettra pas non plus d’évoquer les sports motorisés et tous ceux pratiqués individuellement, qui échappent souvent aux fédérations. Reste aussi les événements d’envergure supra-départementale, telle la Route du rhum au Cap Fréhel avec ses 50 000 personnes « à gérer » sur un site protégé.
Tous ces éléments constituent autant d’autres freins importants au « développement maîtrisé » des sports de nature que défendent les Pdési. •