Intégrer le handicap au travail ?

 

Espaces naturels n°44 - octobre 2013

Management - Métiers

Marie-Mélaine Berthelot
Aten

Les gestionnaires d’espaces naturels portent des valeurs en faveur de l’accueil de personnes handicapées. Mais les métiers de la nature sont-ils adaptés ? Et pourquoi pas ? Leur embauche peut même s’avérer être un atout.

La loi encourage l’embauche de personnes handicapées et l’octroi d’aides financières (voir encart) veut stimuler le passage à l’acte. L’écoute de travailleurs en situation de handicap révèle pourtant que ces personnes revendiquent la normalité : « Pourquoi bénéficier de passe-droit quand on est compétent ? » Leurs employeurs vont dans le même sens : comme avec tout salarié, il y a de bonnes et de mauvaises expériences, des relations d’équipes réussies, d’autres moins… La frontière entre handicapé et valide est sans doute plus floue qu’il n’y paraît, même si la législation cherche à la codifier.
Ainsi, dans la Réserve naturelle du Marais du Vigueirat, une agent d’accueil a été recrutée sur la seule base de ses compétences. « Après quinze ans d’expérience dans le tourisme, elle avait le profil idéal pour assurer l’accueil du public », explique sa responsable hiérarchique, Caroline Meffre.

Son embauche, un atout. Caroline Reyss est en fauteuil, et voici trois ans maintenant qu’elle travaille pour la réserve. Son employeur considère son embauche comme un atout. « Ma pratique du site me permet de parler en connaissance de cause aux visiteurs à mobilité réduite. Ils se tournent plus facilement vers moi. » Quant à ses collègues, ils n’hésitent pas à lui demander conseil pour la mise en place de certains équipements. Sans compter que sa présence donne une bonne image du site : « On voit qu’il est accessible, que l’équipe de la réserve est ouverte, à l’écoute. »
Il n’en reste pas moins que l’embauche de personnes handicapées aux Marais relève prioritairement d’une politique de management cherchant à mettre en valeur les aptitudes des agents. « Nous n’avons pas fait de calcul de quota, ni de listes de postes accessibles. Nous ne faisons de discrimination ni positive ni négative ! », continue Caroline Meffre. « Même si on le souhaitait, je pense qu’il y a beaucoup de métiers de la nature où il n’y aurait tout simplement pas de candidat ».
Et de narrer comment un agent déficient cardiaque et passionné d’ornithologie a été embauché. Il a passé cinq ans à gérer la buvette du site, après vingt ans dans la restauration, mais il avait aussi participé aux différents suivis naturalistes, dans les limites physiques permises par son handicap.
Ces histoires encourageantes ne sauraient gommer les difficultés : « Les valides marquent souvent une surprise, quelquefois de l’appréhension, souligne l’agent d’accueil. Mais je m’attache à relaxer les gens. » La situation est peut-être facilitée car les Marais du Vigueirat développent, depuis plus de dix ans, de nombreux projets visant à rendre la nature accessible à tous les publics, qu’il s’agisse de familles, de personnes âgées, de personnes handicapées.

Modus vivendi. Le handicap peut prendre bien des formes : qu’on songe par exemple au déficit auditif ou visuel, ou au handicap ponctuel suite à un accident… Jean-Gabriel Ferrando, chargé de mission au PNR du Morvan, aime rappeler qu’il serait réducteur de se représenter le handicap moteur par un fauteuil roulant « c’est un cliché. Cela ne représente que 2 % des personnes en situation de handicap ».
Dans tous les cas de figures, l’employeur doit réfléchir pour adapter le poste de travail. Pour certains handicaps légers, pour des postes administratifs, il suffit parfois d’un logiciel ou de l’adaptation du temps de travail.
Aux marais du Vigueirat, il a fallu abaisser le comptoir d’accueil. Au Parc naturel régional du Morvan, Jean-Gabriel Ferrando, qui y travaille depuis quatre ans, en fauteuil, a été associé au groupe travaillant sur la rénovation de la Maison du parc afin de pousser un peu plus loin l’accessibilité avec pour objectif que le handicap ne soit pas un obstacle pour les futures embauches. « Il faut aussi penser aux personnes qui nous visitent : les élus, les
professionnels… »
L’aménagement de la fiche de poste est également une des facettes de la question qu’il faut prendre en compte. Pour Caroline Reyss, certaines tâches ne sont pas envisageables. La mise en rayon par exemple n’est pas aisée. Mais les équipes ont su collaborer avec bon sens. En binôme, chacun fait selon ses capacités. La condition du succès : bien caler les choses en amont pour éviter les tensions dans les équipes, et faire un point régulièrement à l’occasion des réunions d’équipe. « Mon handicap n’est pas très lourd, explique-t-elle, et parfois les collègues oublient. Mais moi aussi j’oublie ! Et puis je pars du principe que je peux tout faire. J’ai d’ailleurs parcouru quasiment tout le site avec mon fauteuil tout terrain. »
L’état d’esprit qui anime les équipes et que génère le management de proximité est également déterminant : « Dites aux employeurs qui hésitent à embaucher que l’intégration d’une personne handicapée se fait comme en famille, naturellement, ajoute Caroline Meffre. Les personnes dans une telle situation ne se mettent pas, elles-mêmes, en danger. Si elles ne peuvent pas faire, elles le disent, et on voit ce qu’on peut changer pour que ce soit faisable. Il ne faut pas hésiter à dialoguer. »
Se mettre en capacité d’accueillir des agents aux diverses capacités physiques ou intellectuelles doit finalement trouver sa place dans l’ouverture des sites à tous les publics. •