Pour une gestion durable des territoires, pensons en bouquet
Espaces naturels n°52 - octobre 2015
Thierry Tatoni et Leïta Tschanz, IMBE, leita.
Jean-Jacques Brun, Irstea
Mettre à contribution le dire d’expert pour identifier le potentiel écologique des territoires à travers les services écosystémiques.
Les PNR expérimentent au quotidien de nouvelles relations entre l’homme et la nature afin de favoriser des liens de solidarité, de coopération et de proximité. Pour améliorer ces relations, il est important de mieux connaître l’offre de nature dans ces espaces naturels, de favoriser le dialogue et le partage des connaissances et également de mieux cerner les attentes des acteurs impliqués dans la gestion et l’exploitation des territoires. Dans ce contexte, une étude1 a consisté à déterminer le potentiel en services écosystémiques du territoire (l’offre de nature), mettant à contribution l'intelligence territoriale.
Elle vise à contribuer à l’aide à la décision, concernant l’utilisation des ressources et la conservation du patrimoine naturel. L’objectif est de permettre à un PNR, tel que celui des Baronnies provençales, d’avoir une meilleure connaissance de ses potentialités écologiques et de visualiser les compromis entre services écosystémiques, tout en favorisant le dialogue entre acteurs. Le territoire a ainsi été abordé dans une approche globale et participative, avec comme clé d’entrée les services écosystémiques potentiels.
APPROCHE INTÉGRÉE ET PARTICIPATIVE DES TERRITOIRES
Pour prendre en compte de façon globale et intégrée les relations homme-nature nous avons choisi d’aborder le territoire au moyen de systèmes couplés socio-environnementaux, aussi appelés systèmes socio-écologiques. Ceux-ci portent sur les interactions entre les sociétés et la nature, à travers la considération des composantes sociétales et des caractéristiques écologiques. Popularisés dès 2005 par l’évaluation globale et mondiale des écosystèmes pour le millénaire (MEA), les services écosystémiques ont été utilisés comme des macro-indicateurs de la santé des écosystèmes. Aussi est-il intéressant de tester leur utilité pour évaluer les systèmes socio-écologiques et les interactions homme-nature à l’échelle de petits territoires. Les politiques locales de conservation des milieux naturels sont trop souvent représentées sous le seul angle des limitations ou des contraintes qu’elles imposent.
L’évaluation des services écosystémiques au travers des biens et des bénéfices fournit par les milieux naturels permet de mettre en avant pour les sociétés, l’importance de la biodiversité et des processus écologiques qui lui sont liés. L’approche par les services potentiels, comme utilisée dans notre étude, a l’avantage de considérer tous les écosystèmes qu’ils soient naturels ou modifiés par l’homme et ainsi de mettre en avant les atouts du territoire à travers leur potentiel écologique. Notre démarche repose sur le « dire d’expert » et est élaborée de façon participative grâce à la contribution de scientifiques, de gestionnaires d’espaces naturels et d’acteurs du territoire. Ainsi, cette approche est basée sur l’utilisation d’expertises territoriales pour construire des matrices d’indicateurs semi-quantitatifs reliant les habitats aux services écosystémiques. Lors d’ateliers de travail, ces différents acteurs ont la possibilité de donner leurs points de vue et de dialoguer autour de la matrice, ceci dans le but de favoriser le partage des connaissances et les interactions entre le monde de la recherche et celui de la gestion ou de l’aménagement.
RAISONNER EN BOUQUETS DE SERVICES
En plus de son caractère participatif, l’intérêt du protocole d’étude tient dans la spatialisation de bouquets de services écosystémiques potentiellement fournis par les habitats naturels. Raisonner en bouquets de services, plutôt qu’en service individuel ou somme de services, permet de construire une vision multifonctionnelle des territoires. Ceci afin de caractériser les interactions entre services et ainsi de reconnaitre les compromis à faire en termes de gestion. La représentation spatiale des services écosystémiques passe par la cartographie des habitats et l’utilisation d’une matrice des capacités à dire d’experts (score donné à un habitat sur sa capacité à fournir un service) qui permet d’avoir rapidement un éclairage opérationnel sur le territoire.
En effet, la méthode met en avant et en situation les points chauds et froids de services écosystémiques en termes de potentialités. Lorsqu’il est question de ressource, il existe le plus souvent deux choix d’aménagement possibles : aller vers une ségrégation ou vers un partage spatial des ressources. Ainsi, l’approche par les bouquets de services écosystémiques potentiels du territoire permet d’aider les gestionnaires d’espaces à mieux définir leurs périmètres d’intervention pour la conservation ou pour l’exploitation des ressources. Les bouquets mettent en avant les compromis à faire entre services, leurs interdépendances et permettent ainsi une optimisation dans leur utilisation. Par exemple, pour les forêts, les bouquets de services révèleront l’importance de plusieurs formes d’utilisation potentielle de la zone, tel que l’exploitation sylvicole, la chasse, la cueillette et l’aspect culturel et de loisir. Ainsi émergera la nécessité de mettre en oeuvre un compromis optimal pour garantir la multifonctionnalité de ces habitats forestiers.
UNE GRILLE DE LECTURE POUR LE TERRITOIRE
L’approche par les services écosystémiques apporte des informations utiles et nécessaires mais elles ne sont certainement pas suffisantes pour la gestion durable des territoires et la prise de décision. Il demeure primordial d’avoir une vision locale et intégrative afin de pouvoir répondre à des enjeux territoriaux plus globaux. Il ne s'agit pas de faire une addition de services, tels des indicateurs de performances, mais de regarder les interactions entre services, en particulier les synergies et conflits qu’ils révèlent, afin d’infléchir les trajectoires d’interaction homme-nature vers des modalités durables au sein de systèmes socio-écologiques résilients.
Ainsi, la démarche d’évaluation des services utilisée fournit une grille de lecture du territoire importante, apportant une plus-value à condition de la croiser avec d’autres indicateurs (environnementaux, sociaux, de biodiversité etc.), dans une dimension relativement moins utilitariste. Il ne faut pas oublier que les mosaïques d’habitats naturels utilisées dans cette évaluation forment aussi des paysages, des écocomplexes qui sont autant d’espaces communs de « concernement » où culture, valeurs et traditions sont partagées. Aussi, dans une perspective de projets d’aménagement et de développement durable des territoires, il est nécessaire d’impliquer les acteurs et de prendre en compte les connaissances locales.
C’est par un partage des connaissances et des savoirs que l’on peut faire évoluer les mentalités et ainsi mieux comprendre les aspects scientifiques, les enjeux et les valeurs de chacun pour avancer vers des actions de planification accordant une plus grande place à l’intelligence territoriale.
(1) Cette étude a été menée par l’Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie marine et continentale (IMBE, Aix Marseille Université, CNRS, IRD, Avignon Université) en partenariat avec l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA) de Grenoble et le Parc naturel régional des Baronnies provençales.