S’appuyer sur la culture locale

Et si on contait ?

 

Espaces naturels n°37 - janvier 2012

Le Dossier

François Salmon
Conservatoire d’espaces naturels de La Réunion

 

Prédateurs d’espèces insulaires, chats et rats prolifèrent à La Réunion. Comment convaincre la population de ne pas laisser ses déchets dans la nature ? En contant des histoires sur les aires de pique-nique. Humour et plaisir garantis.

A La Réunion, le pique-nique dominical est une véritable institution. Chaque dimanche, les aires prévues à cet effet sont prises d’assaut et les marmites de cari sont de rigueur pour un repas convivial.
En fin de journée, les déchets restent sur place et c’est au tour des rats de festoyer. Ils font bombance des oiseaux de passage, espèces indigènes, venus finir les restes. C’est ainsi que les prédateurs, chats ou rats, prolifèrent.
Aussi, comment sensibiliser les gens à l’impact de leur comportement ? Comment les convaincre de ramener chez eux leurs déchets, y compris organiques ?
La campagne1 organisée par le Conservatoire d’espaces naturels de La Réunion ne manque pas d’originalité.
Elle use de la narration de contes. S’appuyant ainsi sur la culture locale, elle tient compte de la très forte tradition orale, elle n’omet pas non plus de considérer le fort taux d’illettrisme.
350 ans d’histoire multiculturelle font de La Réunion un véritable melting-pot des cultures de l’Occident et de l’Océan Indien (africaine, malgache, indienne et chinoise, pour ne citer que les plus importantes). Utiliser le conte pour communiquer devait permettre de s’insérer au mieux dans cette histoire et cette culture.

Artistes locaux. La création des contes a été confiée à des artistes réunionnais, seuls capables d’intégrer, tout en le modernisant, ce souffle culturel de l’île. Les contes ont été écrits en créole, langue maternelle, langue du cœur.
Chaque dimanche les conteurs se retrouvent sur les aires de pique-nique pour porter leur message. L’histoire autorise une proximité avec les publics visés qui peuvent interagir avec le conteur. C’est ainsi que le roi Papangue (cf. encart) s’invite au milieu des convives. Il mime le vol de cet unique et emblématique rapace de l’île ou sifflote gaiement pour créer l’ambiance de gazouillis des oiseaux de la forêt. Cette proximité a également été recherchée au travers d’une pièce de théâtre réalisée sous forme de sketchs, à destination cette fois-ci d’un public scolaire. Elle est jouée dans les établissements.
La conception de cette campagne repose aussi sur son
aspect ludique. Les contes, comme la pièce de théâtre, utilisent beaucoup l’humour : une approche qui facilite l’adhésion du public, notamment des plus jeunes.

Scientifique. Pas d’efficacité du message sans assise scientifique. À La Réunion, comme dans la plupart des îles, la faune qui a évolué sans prédateurs, du fait de l’isolement insulaire, a souvent perdu ses aptitudes à s’en protéger. L’arrivée du rat et du chat, concomitante à l’arrivée de l’Homme à La Réunion à la fin du 17e siècle, a changé la donne. Aujourd’hui, rats et chats se portent très bien. Ils prolifèrent dans tous les biotopes aidés en cela par les nombreux déchets organiques laissés dans la nature. La mise en œuvre de cette campagne a été facilitée par l’intervention d’intermédiaires scientifiques du Parc national de La Réunion et de la Société d’étude ornithologique de La Réunion. Rasolo-nirina consultant et l’association Show-Co-Arts ont, quant à eux, joué le rôle de traduction entre les langages administratifs, techniques et scientifiques et celui de l’artiste. •

1. Cofinancée par l’Europe (Feder), le PN de La Réunion, le ministère de l’Écologie.