Grâce à l’Europe...

Les évaluations d’incidences

 

Espaces naturels n°44 - octobre 2013

Le Dossier

Romain Ecorchard
Bretagne Vivante


De prime abord, le droit européen est un peu loin des préoccupations des gestionnaires. Il a pourtant des répercussions très concrètes sur leur quotidien, en témoigne un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne qui opposa, le 4 mars 2010, la Commission européenne à la France (1).
L’Union européenne a œuvré pour la mise en place d’un cadre normatif commun à la protection de l’environnement. Un premier acte fondateur était posé par l’adoption de la directive Oiseaux (1979) (2), suivie quelques années plus tard par la directive Habitats faune flore (1992) (3). Le réseau Natura 2000 s’est ainsi formé, avec ses zones de protection spéciale pour les oiseaux (ZPS) et ses sites d’intérêt communautaire (Sic).

L’article 6.3 de la directive Habitats impose d’évaluer les incidences des activités, potentiellement impactantes, conduites sur ces sites Natura 2000.
Or, en 2005, la question du champ d’application de l’évaluation d’incidence, telle qu’appliquée par la France, fait débat au niveau européen. La France avait en effet choisi de lister nationalement (localement depuis 2010) les activités qui doivent faire l’objet d’une évaluation (4).
Avec ce système de listes d’activités, la France avait exclu de l’obligation d’évaluation toutes les activités soumises à un régime propre de déclaration : ICPE, urbanisme, eau… en ne les mentionnant pas dans les listes (ce qu’elle a dû rectifier depuis).
Par ailleurs (probablement sous pression des lobbies), les activités aquacoles, de pêche, de chasse (et cynégétiques d’une manière générale) étaient exclues par une disposition spécifique du code de l’Environnement.

En 2008, la Commission européenne introduit alors un recours auprès de la Cour de justice de l’Union européenne. Celle-ci statue le 4 mars 2010. Elle constate qu’un nombre important d’activités sont exclues de l’obligation de réaliser une évaluation d’incidences, soit par omission, soit de manière directe. Or, cette exclusion est contraire à l’article 6.3 de la directive Habitats. La Cour condamne alors la France au motif que la transposition de la directive européenne réalisée en 2001 est insuffisante.

À la suite de cet arrêt, la mention litigieuse, qui écarte explicitement la pêche, la chasse, etc., d’évaluation d’incidences, est supprimée.
Par ailleurs, la France insère une nouvelle clause qui précise que tout document de planification, programme, projet, manifestation, ou intervention peut donner lieu à évaluation, même s’il ne figure pas dans une des listes.
Il suffit pour cela que l’autorité administrative décisionnaire de l’activité s’autosaisisse en motivant sa décision. Un tiers peut également demander à cette autorité d’imposer l’évaluation.
Par défaut, si aucune autorité n’est désignée, l’autorité décisionnaire est le préfet de département (5).
C’est ainsi que, dans le sud Finistère, le chargé de mission Natura 2000 des dunes et côtes de Trévignon est intervenu afin d’imposer une évaluation d’incidences Natura 2000 au metteur en scène de la série télévisée Doc Martin. Le tournage devait avoir lieu sur une plage au moment de la nidification d’hirondelles du rivage. Suite à l’évaluation, le metteur en scène a modifié substantiellement son projet pour limiter l’impact sur l’environnement.
Restent à venir, probablement, des contentieux sur l’appréciation que fera l’autorité administrative de la nature des activités non listées qui doivent tout de même faire l’objet d’une évaluation ; contentieux qui devront cette fois être réglés par les juridictions françaises, en se basant sur la jurisprudence et le droit européen. •

1. CJUE, 4 mars 2010, C 241/08 • 2. Directive 79/409/CEE du 2/05/1979 ; modifiée 97/49/CE du 29/07/1997 ; codifiée à droit constant le 30/11/2009.• 3. Directive 92/43/CEE du 21/05/1992 • 4. Liste prévue à l’article L. 414-4 du code de l’Environnement, fixée à l’art. R. 414-19. • 5. Art. L. 414-4 IV bis et R. 414-29 du code de l’Environnement.