L’étranger, c’est moi
Aboutira, aboutira pas ? La réserve de Kaw transformera-t-elle un deuxième essai pour établir son plan de gestion ? À chaque fois, jusqu’ici, le document n’a pu aboutir car trop vertement rejeté par la population. Depuis quelques mois cependant, le climat a changé avec l’arrivée de Léon Razafindrakoto.
Malgache en terre guyannaise, le conservateur affiche près de vingt années d’expérience dans divers pays et une façon toute personnelle d’aborder la question.
« Tout repose sur le processus relationnel, narre-t-il. Le village de Kaw abrite une cinquantaine d’habitants permanents. La réserve est leur lieu de vie et leur source de revenus. Je suis arrivé dans un contexte difficile où les gens n’avaient reçu que des promesses d’un quotidien meilleur. En réalité, la protection ne leur apporte que des contraintes. Leurs problèmes, leurs questions n’étaient pas pris en considération. Le climat était à la défiance et à la démotivation.
Certaines personnes sont illettrés mais, ici, elles sont chez elles depuis des générations ; et vous, intrus venu restreindre leur liberté, que représentez-vous ? Ces gens sont les descendants des esclaves, en êtes-vous conscients ?
Pour ma part, j’avais une vision claire de ma posture : je représentais l’autorité, sans légitimité.
Aussi, j’ai joué la transparence des relations humaines, de l’écoute. J’ai pris le temps de taper aux portes, d’aller vers les gens dans la rue, de discuter comme on palabre pour soupeser et rencontrer l’autre. C’est à nous, « étrangers », d’aller vers les gens. Eux, ils nous regardent, ils nous surveillent, se demandent si nous sommes vraiment sincères.
Lors de ces relations informelles, je privilégie le rapport avec les anciens, les sages !
Je suis un simple gestionnaire missionné pour établir un plan de gestion. Je ne suis ni l’État ni le préfet et je cherche toujours beaucoup de clarté dans mon positionnement. Rien ne m’empêche d’être au côté des populations.
Ainsi, par exemple, un jour que des véhicules avaient été saccagés, les villageois revendiquaient plus de sécurité. Ils faisaient barrage et empêchaient qui que ce soit d’entrer dans la réserve. Ils ont voulu, moi aussi, me contraindre.
Ma réaction a été de montrer que nous étions dans la même galère. En effet, aucun plan de gestion ne peut être performant si on ne résout pas les problèmes de sécurité. « Moi aussi, on m’a volé des pirogues », ai-je expliqué. J’ai signé leur pétition et nous sommes allés, ensemble, voir le préfet. J’ai servi de passerelle entre eux et l’administration et la confiance s’est vraiment instaurée.
Pour être accessible, il faut aussi reconnaître la culture de l’autre. Lors d’une réunion, j’ai eu envie d’exprimer mon désir de travailler main dans la main avec eux. Aussi, j’ai parlé en créole. Et là… tout le monde a applaudi.
Par cet acte, je voulais signifier que je reconnaissais la valeur de leur culture. Je sais aussi que, dans une réunion, quand les gens parlent leur langue, c’est une manière de mettre certaines choses à plat. Je n’y vois pas de défiance.
Tout cela ne m’empêche pas d’affirmer mes positions, qui peuvent être en contradiction avec la population. Je peux, je sais, dire non.
Je n’en suis pas moins respecté. Ma crédibilité repose sur la parole donnée et sur le fait d’être fiable. Je suis conservateur et je cherche à ce que les gens identifient mon positionnement comme tel.
Je ne veux pas confondre les relations de confiance, le respect et le copinage. On m’interpelle, et j’échange avec tous, enfants ou adultes… cependant, je reste ce que je suis. Récemment, par exemple, des jeunes m’ont invité pour leur anniversaire. J’ai décliné. »
On serait tenté d’applaudir tant le positionnement est clair, cohérent, respectueux. Pourtant le plan de gestion est en retard et l’administration complexifie la situation par ses nécessités administratives. Rien n’est joué.