>>> À la source de l’art : la nature

Artistes en résidence

 

Espaces naturels n°7 - juillet 2004

Pédagogie - Animation

Moune Poli

 

Depuis dix ans, le domaine d’Abbadia, accueille deux artistes en résidence chaque année. La nature est source d’art et suscite la création artistique. Rencontres, échanges avec la population locale sont alors possibles.

La pluie a chargé la lande, puis le soleil s’en est venu, laissant pointer au loin, sur les falaises abruptes, le château d’Abbadia. Basque brume qui sublime les courbes néogothiques de la résidence d’Antoine d’Abbadie !
Inspiré par ses voyages, le scientifique explorateur a marqué d’orientalisme la décoration intérieure de sa demeure. La pièce la plus vaste est réservée à l'observatoire astronomique. D’ailleurs le château appartient maintenant à l’Académie des sciences. Quant au domaine, le Conservatoire du littoral l’a acquis, il y a 25 ans, en 1979.
Défenseur de sa langue, l'Euskara, mécène pour sa culture, membre de l'Académie des sciences… Antoine d’Abbadie insuffla au 19e siècle, l’âme d’Abbadia dans laquelle aujourd’hui encore se reconnaissent artistes et créateurs locaux de tout rang.
Rien d’étonnant alors à ce que ces mêmes artistes soient venus prêter main-forte à l’Association des amis d’Abbadia à qui la commune d’Hendaye et le Conservatoire ont confié l’animation du domaine et, notamment, l’organisation de classes de patrimoine, en direction des scolaires. Patrimoine, qui, dans ce contexte comprend l’approche de la nature tout autant que des «vieilles pierres ».
Peinture, musique, théâtre, chorégraphie… Les artistes se sentent chez eux dans ce domaine naturel. Ils sont pleinement acteurs de l’association et disent, avec elle, que l’appropriation patrimoniale passe quasi systématiquement par la création artistique.
On comprend alors pourquoi, depuis dix ans, il existe une résidence d’artiste au domaine. Son sens ? Permettre la rencontre et susciter l’étincelle créatrice chez les jeunes scolaires et la population locale.
Une volonté locale
Mais ne vient pas à Abbadia qui veut. Les artistes doivent déposer un CV, assorti d’un book et d’une lettre de motivation expliquant en détail pourquoi ce séjour est important dans leur démarche créatrice. Un jury réuni cherche alors à connaître le sens du travail de l’artiste.
Il ne s’agit nullement d’une commande et l’on peut imaginer qu’un artiste reparte sans avoir rien produit. La résidence serait alors un temps d’introspection, d’expérimentation... Cependant, l’artiste doit générer un dynamisme local. « Nous exigeons commente Ganix Grabières, conservateur, que l’artiste se présente à la population au début de sa résidence. Par un accrochage ou une projection de diapos, il explique son histoire, sa démarche. Il doit en faire autant à la fin du séjour en présentant le travail qu'il a réalisé». En cours de résidence, des visites d’ateliers avec des scolaires sont également organisées. Il n’est pas question de transformer le créateur en animateur. Il lui incombe cependant, de montrer son travail afin de déclencher l’envie de créer. Qu’un artiste fasse des collages, et les enfants en réaliseront ensuite, en classe, à la manière de cet artiste-là. En l’absence de Centre d’art contemporain à proximité immédiate, la résidence d’artistes veut également permettre au grand public de porter un regard sur cet art.
L’association gère toutes les relations, de l’accrochage à la visite d’atelier, en passant par le relationnel avec l’artiste et l’équipe d’instituteurs. Tout ce temps bénévolement offert est la preuve d’un désir profond, et sans doute une explication au fait que la résidence d’artistes d’Abbadia fonctionne, quand tant d’autres ont fermé leurs portes.
La nature comme source d’inspiration
Évoquer la nature comme source d’inspiration occulte une autre dimension, bien concrète celle-là : « Peut-on agir sur la nature ? ». Laisseriez-vous un artiste peindre les rochers en bleu demandé-je au conservateur ? « Certainement non. Le choix d’un artiste s’appuie sur la dimension artistique mais également sur des impératifs de gestion du site. Dans le cadre d'une démarche artistique, peut-être pourrait-il être très intéressant de peindre nos falaises, y compris -pourquoi pas- en bleu fluo. Mais en tant que responsable du site, de la préservation de ses valeurs biologiques et paysagères par exemple, je ne pourrai pas accepter un tel projet aussi intéressant artistiquement parlant soit-il. Nous essayons de ne pas empêcher les artistes de rêver, cependant nous fixons clairement des limites : le respect du lieu.
Toujours des limites : le séjour ne peut excéder trois mois. Il n’a jamais lieu en juillet ou en août, La résidence d’Abbadia ne peut pas être un lieu de villégiature. Ce respect passe aussi par des détails : dans ce site naturel protégé, il n’est pas question de stationner son véhicule devant la résidence. L’âme des lieux repositionne l’homme comme élément du tout.
Reste cependant une large place à l’interprétation subjective du jury, d’autant qu’Abbadia ne se positionne pas comme une pépinière d'artistes. Sont accueillis des artistes qui se sont déjà confrontés au public. Alors, retenons que tout se joue au niveau du choix des dossiers, dans l’intimité des débats du jury qui réunit le conseiller aux arts plastiques de la Drac Aquitaine, le directeur du Frac Aquitaine le conservateur du musée de Bayonne, deux directeurs d’écoles d’art, la présidente des amis d’Abbadia, un artiste plasticien des amis d’Abbadia et le conservateur du domaine.
Généralement, ils ne veulent pas partir
À sa manière, Abbadia contribue à la création artistique contemporaine. Les artistes témoignent d’ailleurs de l’importance de ce séjour dans leur démarche créatrice. Du reste, explique Ganix Grabières « souvent leurs créations produites à Abbadia se démarquent de celles antérieures. La résidence joue alors pleinement son rôle en leur permettant d'aller plus loin dans leur démarche ou, au contraire, d'essayer d'expérimenter…» Depuis dix ans, deux artistes chaque année ont été reçus. Chacun d’eux a bénéficié d’une bourse, doublée d’une aide financière pour l’acquisition de matériel. L’hébergement est gratuit et l’artiste reçoit également une aide pour une exposition en fin de résidence ainsi que pour éditer un catalogue qui permet de garder trace de ce séjour. Les financeurs sont multiples, ainsi les fluides sont payés par la mairie d’Hendaye, tandis que la Drac, le Conseil général, le Conseil régional permettent de couvrir les autres frais y compris ceux d'animation.
Reste à savoir comment tout ceci est viable. Qu’un tissu social engagé soit garant du dynamisme et de la qualité de la démarche, nous en sommes convaincus. Il ne faudrait pas occulter que le portage associatif est par nature fragile.
Ganix Grabières n’hésite pas à reconnaître que l’art conceptuel est quelquefois difficile à défendre. Parfois certains rechignent : « on met des sous, mais on ne voit rien ! » Faire vivre la résidence d’artiste nécessite un travail de persuasion important dont les enfants constituent un vecteur essentiel. Tout le monde connaît un enfant scolarisé !
Sur un aspect, le conservateur reste toutefois critique : « Oui cela fonctionne, sans avoir atteint pour autant, sa pleine dimension. Il faudrait une personne à plein-temps pour gérer cette démarche. Parfois, l’artiste vient avec son véhicule et possède une relative autonomie mais ce n’est pas toujours vrai. Par ailleurs, si l’artiste est étranger, lui-même est gêné par la langue, mais c'est aussi un souci dans la médiation. Et puis, pour que les choses viennent s’enrichir, il faut faire rencontrer l’artiste aux résidents, aux artistes locaux, aux structures culturelles locales… Or là, à mon sens, nous ne sommes pas encore suffisamment bons ». Et puis, faire un bilan… Plus tard, plus tard seulement, on pourra se rendre compte si les choses ont bougé dans la tête des concitoyens.