Regards sur l’état de conservation

 
Rencontre avec Damien Marage, enseignant-chercheur en écologie. AgroParisTech Nancy

Espaces naturels n°40 - octobre 2012

Le Dossier

Moune Poli

 

La directive Habitats nous invite à évaluer l’état de conservation d’un habitat naturel. Mais comment caractériser cet habitat ?

Un habitat naturel ou un écosystème sont deux termes interchangeables. Ils se caractérisent par une structure et une composition. À savoir, d’une part, par l’organisation spatiale et, d’autre part, par le type et le nombre d’espèces qui s’y trouvent. Cependant, un habitat naturel n’est pas statique. Entre alors en ligne de compte la notion d’évaluation de son état de conservation. Cela consiste à regarder comment évolue l’écosystème et comment les différents éléments qui le composent fonctionnent en interaction. Pour cela, on étudie l’évolution de sa structure et de sa composition. L’état de conservation n’est pas une mesure de la biodiversité mais une mesure de la dynamique des flux (matières organiques, eau, espèces…) qui s’exerce en son sein.

L’état de conservation est donc un concept dynamique… Il faut pourtant s’en remettre à un état de référence. Comment est-il choisi ?

Évaluer l’état de conservation d’un habitat permet de prendre des décisions pour agir, afin de maintenir son intégrité écologique. Se pose donc, vous avez raison, la question de l’objectif visé : quel état cherche-t-on à conserver ? Deux options sont possibles. Il peut être tentant de regarder l’état de l’écosystème sous l’angle de ses fonctions écologiques (voir lexique) et de chercher à atteindre un état de référence. Mais lequel ? Celui de 1910 ? De 1850 ?… Avant ?… Mettez des experts autour d’une table, ils ne seront jamais d’accord. C’est là une pierre d’achoppement. En revanche, et c’est l’option que nous retiendrons, l’état écologique ne peut s’envisager qu’autour d’une notion qui prend en compte le contexte socio-économique. Ce n’est plus un état de référence à proprement parler mais un objectif à atteindre en vue du maintien d’un certain niveau de services écosystémiques ; objectif arrêté avec l’ensemble des acteurs qui interagissent sur cet écosystème : le forestier, l’agriculteur…

À quoi faut-il porter une attention particulière ?

Il faut veiller à l’équilibre des services visés. Il ne serait pas imaginable par exemple de privilégier uniquement les services d’approvisionnement au motif que le développement territorial est basé sur l’accueil. Comment appréhende-t-on l’état de conservation ? Il s’agit d’une évaluation à un temps T destinée à questionner l’habitat pour savoir si les choix engagés pour la gestion fonctionnent. Le rendu peut-être simple, puisqu’il peut s’exprimer par niveaux : bon, mauvais, défavorable. Cela se traduit alors sur une carte par trois couleurs. C’est visuel, efficace. Pour atteindre ce résultat. On organise un suivi. À chacune des échéances, on mesure l’état de conservation par le biais d’indicateurs précis, des papillons ou des fleurs par exemple. Ils révèlent la dynamique qui s’exerce et l’on peut voir si l’habitat naturel que l’on souhaite conserver maintient ses services. Mais attention ! Évaluer n’est pas gérer. C’est simplement une étape permettant de décider des actions à conduire.

Combien faut-il d’indicateurs ?

A minima, il faut définir un indicateur de structure, c’est-à-dire la surface. On mesure l’évolution spatiale d’un habitat. Pour la composition, on mesure la richesse spécifique et l’abondance de certaines espèces dites typiques. Ensuite, pour évaluer le fonctionnement, on compare les variations d’abondance et de richesse. Il faut prendre soin de raisonner à surface déterminée car la richesse est corrélée à la surface.

À quelle échelle évalue-t-on l’état de conservation ?

L’évaluation peut se faire localement au niveau d’un site, ou plus largement sur de vastes espaces à l’échelle biogéographique. Les processus en jeu ne sont pas les mêmes. À l’échelle biogéographique, on va mesurer les migrations par exemple. Des grilles européennes font état de seuils de surface, de composition… Un certain nombre d’espèces typiques font référence à cette échelle. À l’échelle locale, on observera les processus de dispersion ou encore le régime des perturbations… Le protocole est le même quelle que soit l’échelle. L’état de conservation à l’échelle biogéographique est égal à l’état de conservation à l’échelle locale de chacun des sites, auquel on ajoute l’état de conservation entre sites.

L’état de conservation n’est qu’une première étape…

Effectivement, conserver c’est agir. La formule est paradoxale mais elle nécessite de connaître les leviers sur lequels agir pour améliorer, voire restaurer l’état de conservation.

Pourquoi utiliser des espèces pour mesurer l’état de conservation d’un habitat ?

On a vainement essayé de faire autrement. D’utiliser des variables physico-chimiques tel le climat ou encore des variables de sol. Idem, on aurait pu suivre des variables de dégradation de l’habitat. En fait, c’est trop complexe. On en reste donc à ce protocole simple. •

damien.marage@agroparistech.fr