Nouvelle-Calédonie

Prendre en compte l’histoire et l’organisation sociale

 

Espaces naturels n°31 - juillet 2010

Le Dossier

Pascal Hébert
Biologiste marin
Jean-Brice Herrenschmidt
Géographe
Sven Menu
Juriste de l’environnement

En Nouvelle-Calédonie, l’inscription du lagon au patrimoine de l’Unesco relève le défi d’une gestion participative. Elle prend en compte la complexité de la construction sociale et traite de la relation des hommes entre eux, à propos de la nature.

En cette fin d’année 2007 sur l’atoll d’Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie, le projet d’inscription des récifs sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco ne cesse d’alimenter les conversations des 2 500 habitants de l’île. En réunion dans la case de la chefferie, le « vieux » Joseph prend la parole : « C’est les vieux d’avant qui ont mis les choses comme ça ! Y faut qu’on range sans déranger… Derrière le caillou aux mulets, y a des gens, mais moi, je peux pas parler parce que c’est à eux ça ! »

Certes, ce projet d’inscription à l’Unesco serait une reconnaissance de la valeur naturelle exceptionnelle du lagon calédonien, pour sa taille – le plus grand du monde –, et pour la diversité stupéfiante de ses récifs coralliens et écosystèmes associés. En ces temps de changements et de menaces sur l’environnement de la planète, chacun ici est en mesure de comprendre la portée mondiale du projet.
Mais sur l’île d’Ouvéa, il prend aussi une tout autre dimension pour la population kanak qui se remet doucement du lourd tribut qu’elle a payé durant la guerre civile pour l’indépendance des années 80 (19 morts lors d’une prise d’otage).
Le vieux Joseph interpelle les techniciens chargés de la gestion participative des aires marines : les seuls critères biologiques et écosystémiques ne suffiront pas à l’organiser. Pour gérer les espaces et les espèces, il faudra tenir compte des enjeux humains et de l’organisation coutumière des populations locales, de tout un héritage culturel riche et complexe ignoré par l’administration, et qui, de fait, s’effrite. Sur le domaine public maritime hérité de l’administration française, deux légitimités cœxistent sans relation entre elles, sans se reconnaître, celle de l’administration qui a compétence en matière environnementale et qui agit avec des outils légaux, et celle coutumière qui organise l’espace par la parole. Pour la population de l’île, le projet représente donc un formidable enjeu de reconnaissance culturelle et de prise en compte de la territorialité identitaire kanak. Mais voilà, c’est compliqué.

Des semaines d’enquêtes révèlent qu’un clan « gardien » désigné par une chefferie est chargé du lieu où fraient les mulets. Pourtant, ce clan n’a pas de légitimité pour en parler en public et est absent des réunions. On découvre aussi que la chefferie qui l’a désigné n’est pas la chefferie locale, mais une chefferie ancienne parlant une autre langue et déplacée dans un autre district de l’île, chefferie non reconnue par l’administration malgré son organisation sociale en réseau bien vivante… Chaque fil que l’on tire de l’écheveau de l’organisation coutumière complexe révèle de nouveaux enjeux territoriaux, sociaux, identitaires et culturels cachés dans un contexte parfois conflictuel hérité d’une histoire douloureuse.

En Nouvelle-Calédonie, ce projet d’inscription au Patrimoine mondial de 15 000 km2 de lagon est une occasion d’organiser la gestion participative de l’environnement, de faire reconnaître concrètement les liens aux territoires, l’identité kanak et les autorités coutumières qui régissent le quotidien d’une partie importante de la population. Depuis 2007, les trois provinces (Îles, Nord et Sud) et les habitants de Nouvelle-Calédonie ont partout monté des comités de gestion rassemblant toutes les parties prenantes, avec la volonté de répondre aux nouveaux enjeux de gouvernance liés au patrimoine naturel et culturel. Les responsables politiques et la société calédonienne dans son ensemble, par cette volonté de travailler ensemble, nous rappellent avec force que la gestion environnementale n’est pas qu’une question de relation de l’homme à la nature, mais peut-être, surtout, de relation des hommes entre eux à propos de la nature.