Baie de Somme

« Maîtriser les flux  sans interdire »

 
Le casse-tête d’un aménagement pour une destination écotouristique

Espaces naturels n°39 - juillet 2012

Le Dossier

Moune Poli
Rédactrice en chef

 

Comment aménager un territoire pour favoriser une destination écomobile ? Cette question nous l’avons posée à Sébastien Desanlis et Juliette Dingeon, tous deux référents sur la Baie de Somme.

La Baie de Somme a conclu un choix ambitieux : faire de son territoire une destination écotouristique. Cette option date du début des années 2000 alors que le département de la Somme saisissait l’opportunité de fonds européens pour structurer un réseau cyclable. Opportunité qui n’aurait pas suffi sans une volonté politique de se regrouper autour d’un projet de territoire débordant des frontières administratives. Dix-huit communes littorales ont mis leur énergie en commun. Elles sont rejointes aujourd’hui par six autres, depuis que le territoire a été labellisé Grand site de France. L’aménagement s’étend à l’échelle de la baie. Le Syndicat mixte Baie de Somme, créé en 1974, porte ce projet avec l’ensemble des partenaires.

Quels sont les axes d’une stratégie d’aménagement dès lors qu’elle s’entend à l’échelle territoriale ?
Sébastien Desanlis (directeur). Nous tentons à travers la politique des Grands sites de travailler sur deux axes complémentaires. D’un côté, la mise en place d’aménagements structurants qui vont aider à la gestion des flux et inciter les visiteurs à découvrir le site autrement que par la voiture ; de l’autre une approche plus qualitative traitant de la qualité du paysage ou de l’accueil.

La qualité du paysage s’inscrit dans la stratégie de déplacement…
Sébastien Desanlis. L’écomobilité n’est pas un moyen de se déplacer mais une façon de découvrir un lieu. Aussi, indubitablement, la qualité du paysage et des milieux est un élément fondamental et fondateur. Après une étude fine du territoire, nous avons mis en place des programmes opérationnels de restauration écologique des paysages emblématiques de la baie. Ainsi par exemple, pour garantir une ambiance maritime en fond de baie, le syndicat a restauré un petit fleuve côtier. Nous travaillons à restaurer les ambiances paysagères différentes et cherchons à préserver l’authenticité du paysage. Habitants et visiteurs doivent ressentir la valeur inestimable que constitue cette « cathédrale de nature ».

Comment garantissez-vous le bon état des milieux face à la fréquentation de plus en plus importante ?
Sébastien Desanlis. Nous suivons un vieil adage : anticiper pour ne pas subir. Notre stratégie est centrée autour de la gestion différenciée des flux et de l’accueil du public afin de minimiser l’impact de la fréquentation. La culture de l’interdit n’apporte qu’un placebo. Il s’agit de donner à voir sans diriger les visiteurs dans les cœurs de nature trop sensibles.

Maîtriser les flux plutôt que d’interdire… Qu’est-ce que cela veut dire ?
Juliette Dingeon (chargée de mission). Un diagnostic préalable nous a permis de repérer les portes d’entrée de la Baie de Somme ainsi que les équipements touristiques existants. Ils constituent des points de passage qui structurent les flux sur le territoire. C’est là que nous souhaitons préfigurer des pôles d’accueil. Il s’agit par exemple de l’émergence d’un écopôle sur le Marquenterre et autour de la maison de la Baie de Somme et de l’oiseau. Sur ces différents pôles, nous avons une politique volontariste d’accueil afin d’offrir toutes les informations et les services qui vont permettre au visiteur d’abandonner sa voiture : c’est ici que l’on pourra démarrer un sentier, louer un vélo, garer sa voiture, attraper une navette, mais surtout échanger avec le gestionnaire… La vraie force d’un territoire écotouristique, c’est de mettre un visage plutôt qu’un panneau.

Après votre diagnostic préalable, avez-vous été amené à créer de toutes pièces de nouveaux pôles d’accueil ?
Sébastien Desanlis. Non. Nous nous appuyons toujours sur l’existant, tant en termes d’infrastructures que d’acteurs. Notre mission nous impose de garantir le bon état des cheminements et de valoriser les acteurs (associations locales, loueurs…) en leur permettant de coordonner leurs offres. Un exemple : nous encourageons les initiatives telle « Baie de Somme zéro carbone », une association qui promeut et met en réseau les offres écoresponsables. Si nous souhaitons que les personnes restent écomobiles tout au long de leur séjour et qu’elles n’aient plus à prendre la voiture, les services doivent être connectés et lisibles. Les visiteurs doivent savoir ce qui existe sans avoir à chercher.

Dans cette maîtrise des flux, quelle place prend la signalétique ?
Juliette Dingeon. Nous avons choisi de la concentrer sur les pôles d’accueil ou sur les routes : ne pas encombrer le paysage avec des panneaux de signalisation ! Les visiteurs doivent ressentir le milieu naturel et ne pas avoir l’impression d’être dans un circuit fléché. La signalétique doit permettre d’orienter le visiteur vers un espace dédié à l’activité qu’il a choisie.

Le territoire propose des circuits cyclistes, équestres, pédestres… les itinéraires et aménagements sont-ils spécifiques en fonction du type de déplacement ?
Juliette Dingeon. La réponse suppose quelques subtilités. Typiquement, la présence de chevaux sur les tronçons béton du plan cyclable, ce n’est pas l’idéal ! En revanche, piste équestre et chemin de randonnée peuvent être partagés. Notre réflexion inclut donc cette dimension, en termes de parcours et de services spécifiques quand c’est nécessaire.

Comment se pose la question de la sécurité ?
Juliette Dingeon. En cas de grande affluence, comme lors du Festival de l’oiseau, les choses se jouent en termes d’organisation de flux sur les voies adaptées. Et, là encore, la signalétique est déterminante. Il faut identifier la vocation des voies et leur capacité d’accueil, instituer des parkings de délestage pour des ruptures de flux, mettre en place des navettes.

En termes d’aménagement, qu’est-ce qui vous semble totalement indispensable ?
Sébastien Desanlis. La notion de réversibilité. Notre littoral est un territoire en perpétuel mouvement : la baie s’ensable, les falaises s’érodent, les modes de consommation changent très rapidement. Les aménagements d’aujourd’hui doivent donc être réversibles et ne faire qu’accompagner les évolutions. Dans un Grand site, nous avons le devoir de ne jamais paysager un aménagement. C’est le paysage qui le guide et garantit le succès de son intégration. •