Vous voulez convaincre ? Montrez, faites voir, illustrez
Le Conservatoire d’espaces naturels de Lorraine a imaginé une méthode pour faire comprendre l’état de conservation aux acteurs de terrain et suivre les effets des mesures de gestion.
Vous travaillez depuis quinze ans avec les acteurs du site Natura 2000. Vous cherchez avec eux à définir des mesures de gestion. Pouvez-vous nous donner quelques conseils : comment s’y prend-on ?
Surtout pas comme nous (sourire)… Au début, en bon gestionnaire, nous avons voulu expliquer ce qu’est l’état de conservation et… cela n’a pas marché. Ce concept est très technique. Vouloir entrer dans les détails scientifiques, c’est montrer les choses de notre point de vue ; au risque, bien sûr, de n’être pas entendu.
Face à un public non spécialiste, il faut partir de la constatation du résultat et non de l’analyse scientifique. Nos interlocuteurs doivent pouvoir visualiser les choses par eux-mêmes.
Comment abordez-vous cette notion avec vos partenaires ?
La première étape consiste à « faire comprendre » la représentation de l’échelle de graduation de l’état de conservation. Mauvais, moyen, bon… ?
Nous nous gardons bien de parler d’état de conservation des habitats. Nous parlons d’état dégradé en faisant d’abord constater des exemples dans l’extrême. En effet, quand un état est fortement dégradé, tout le monde est à même de le constater. Il est plus facile ensuite de continuer à discuter.
Comme dans tous les documents d’objectifs, ceci se traduit en trois couleurs sur une carte : rouge, orange ou vert (cf. encart).
Faire cette démonstration suppose d’aller sur site ?
Pas nécessairement ensemble. Quelques fois effectivement nous nous rendons sur le terrain, d’autres fois nous montrons des photos. Des clichés de prairie par exemple, l’une avec des fleurs, l’autre avec des orties. Notre objectif est d’illustrer ce que sont des habitats dégradés et nos réunions supposent toujours un « gros » travail de préparation pour donner à voir.
En réalité, là où cela achoppe, c’est sur l’objectif. Certaines personnes ne comprennent pas toujours où les gestionnaires veulent en venir. D’autres sont en désaccord.
Vous avez donc inventé votre propre méthode…
Les acteurs du site ont souvent du mal à admettre qu’il n’y a pas de lien entre l’état de conservation constaté et le bilan de la gestion réalisée.
Ils ne comprennent pas pourquoi, après avoir fait tant d’efforts par exemple, ils n’arrivent pas à sortir du rouge : pourquoi, alors qu’ils ont parfaitement répondu pendant cinq ans à toutes les mesures du Docob, leur parcelle est toujours dans un mauvais état de conservation. Certains agriculteurs vivent même cela comme une sanction.
Pour y remédier et permettre l’adhésion, nous établissons une autre cartographie, parfois plus fine que l’échelle de la parcelle : celle des facteurs de dégradation. Elle permet de montrer pourquoi l’état de conservation est mauvais.
Admettons qu’il y ait un problème lié à l’alimentation en eau sur le bassin versant, la zone sera colorée en violet, couleur qui se superposera avec le rouge du mauvais état de conservation constaté sur la première carte. Nous pouvons aller sur le terrain avec l’agriculteur ou le propriétaire. Cette double cartographie est un support qui met le problème en lumière. Elle nous permet de réfléchir ensemble pour proposer des solutions. Elle permet de comprendre pourquoi la note est mauvaise et d’expliquer qu’on est peut-être très proche du résultat.
Quelles explications apportez-vous ?
Cela n’a pas toujours été le cas mais nous avons l’honnêteté de dire aux agriculteurs qu’il ne suffit pas d’appliquer le Docob pour avoir un bon état de conservation. Nous expliquons que les efforts vont permettre de « tendre » vers un meilleur état.
Il faut expliquer également que le pas de temps des mesures agri-environnementales n’est pas le même que celui de la végétation. Et puis, il faut entrer dans les détails des facteurs que l’on ne contrôle pas : la qualité de l’eau, le changement climatique, l’histoire du site…
Cela ne résout pas la question de l’adhésion des acteurs aux objectifs à atteindre ?
Effectivement, l’agriculteur souhaite avoir du foin pour ses vaches, le chasseur veut suffisamment de fourrés arbustifs pour les sangliers et le gestionnaire n’a pas forcément les mêmes visées.
En tant qu’animateur de site Natura 2000, nous avons choisi d’annoncer clairement nos objectifs. C’est une question de crédibilité. En revanche, nous faisons un compromis entre l’optimum de gestion que nous souhaiterions et les contraintes économiques des acteurs. Le fait d’être beaucoup sur le terrain nous permet d’être entendus quand nous disons, par exemple, que nos indicateurs scientifiques nous permettent d’affirmer que l’état de conservation d’un habitat est en train de se dégrader ; même si cela n’apparaît pas d’emblée. Un certain niveau de confiance né d’un dialogue autour de notre méthode légitime notre parole scientifique. •
En savoir plus : r.selinger@cren-lorraine.fr