Osez la pierre sèche

 

Espaces naturels n°17 - janvier 2007

Aménagement - Gouvernance

Moune Poli

 

La filière s’organise, les muraillers deviennent des partenaires incontournables. Comment choisir le bon ?

Généralement, il n’est guère utile d’argumenter pour convaincre du bien-fondé des constructions en pierres sèches. La beauté sensuelle est l’atout maître de ce matériau issu de cueillette. Et puis, elle a surfé sur les civilisations, la pierre : antithèse du béton, son cycle de vie est optimum. Mais encore, surtout, aussi… faune et flore colonisent ces murs, dont les infractuosités en font des abris sûrs. Mais la liste des arguments ne s’arrête pas là. Il faut aussi insister sur la nature drainante et la souplesse de cette architecture. En absence de mortier, l’eau de pluie peut s’écouler tandis que la construction peut subir de légers mouvements sans être déstructurée.
Le sceptique regarde-t-il le sujet d’un point de vue économique ? On lui rétorquera que les publications touristiques s’illustrent de constructions de pierres sèches. À quoi, on ajoutera que la filière est créatrice d’emplois qualifiés. Pourquoi alors, la décision de construire en pierres sèches ne va-t-elle pas de soi ?
Trouver le bon professionnel
Comment avoir l’assurance d’un travail bien fait ? La question renvoie au fait que la profession n’est toujours pas inscrite au répertoire des métiers et qu’un mur mal construit est susceptible de s’écrouler dès les premiers orages. Il existe bien un inventaire des praticiens de la pierre sèche1 mais, celui-ci se contente de recenser les personnes qui s’estiment
en capacité de maîtriser le savoir-faire pierre sèche. L’annuaire devrait bientôt donner des indications sur la compétence de chacun, mais en attendant ?
Claire Cornu, chargée de mission2 dont la connaissance du sujet est internationale, répond avec pragmatisme : « Vérifiez que l’artisan a signé une charte déontologique du bâtisseur en pierres sèches ! » Le professionnel s’y engage à fournir des devis gratuits dans un délai rapide, à présenter à chaque client des solutions techniques correspondant à sa demande. Par ailleurs, les signataires doivent valoriser leur filière et partager, avec leurs pairs, leurs solutions techniques sur la stabilité des terrains, le drainage, la réintégration des terrasses. En effet, il n’existe pas de document technique unifié (DTU) pour ce type d’ouvrages et ces professionnels sont engagés depuis cinq ans dans une démarche visant à créer les règles de l’art qui font défaut. La charte garantit donc un minimum de reconnaissance du savoir-faire de l’artisan partenaire, c’est aussi un contrat déontologique où l’emploi des matériaux vernaculaires est privilégié par exemple.
Mais peut-on, autrement, juger de la compétence d’un murailler ? En France, trois associations regroupent les professionnels de la pierre sèche (cf. en savoir plus), Marc Dombre, président des artisans bâtisseurs en pierres sèches, insiste sur l’importance de discuter avec le professionnel. « Il faut d’abord vérifier qu’il a bien intégré les techniques de la pierre sèche : être sûr qu’il n’utilise pas de béton ni en fondation, ni en liant d’appoint. »
Il faut alors lui demander comment
il va s’y prendre. Quels moyens va-t-il employer pour préparer le terrain et monter le mur. Qu’a-t-il comme équipement au regard de la construction à mettre en œuvre ?
Guides techniques
Pas toujours facile de poser les bonnes questions quand on est néophyte. Sachez alors que, dans les mois qui viennent, deux ouvrages de référence seront disponibles. Ils répondent à une commande de la direction du commerce, de l’artisanat, des services et des professions libérales (DCASPL). Ils permettront à n’importe quel donneur d’ordre de connaître les normes de construction des murs. Ces règles seront des référents pour l’expert désigné en cas de litige.
« Ces référentiels sont accessibles à tous, précise Marc Dombre. L’un d’eux est établi par l’École nationale des travaux publics de l’État (ENTPE) de Lyon. Les scientifiques y expliquent les règles du dimensionnement d’un mur en pierres sèches en fonction de sa hauteur, du type de pierre, du type de terrain… Ces validations sont fonction de l’usage du terrain (accès à pied ou en tracteur ?). »
Le second ouvrage, Le guide des bonnes pratiques professionnelles, vient compléter l’aspect technique et décrit l’art de construire.
Il est, en effet, des usages qu’il faut respecter : le choix des pierres par exemple ; que cela soit du schiste, du granit, du calcaire… Il est important d’employer une pierre d’extraction locale qui puisse se fondre dans le paysage : à la fois pour des raisons esthétiques et pour des raisons de bilan écologique. Il serait dommage, alors que la pierre sèche est très peu énergétivore, de consommer de l’énergie pour l’amener de loin.
Vérifiez aussi
Le client doit aussi vérifier que le devis détaille le dimensionnement du mur de la base au sommet, le type de pierres qui va être employé, la proportion de pierres récupérables, le cubage de pierres à fournir, le lieu d’approvisionnement.
Lors de la discussion préalable, quelques points importants doivent être précisés : il en est ainsi du fruit du mur (son inclinaison) et de sa largeur. Quant aux fondations, l’assise doit être préparée. Si le mur de soutènement est sis sur le rocher, celui-ci doit être retaillé. La circulation d’eau derrière le mur doit également donner lieu à une réflexion particulière. Comment va-t-elle être régulée ?
Par la suite, il faudra veiller à la végétation. Ne pas laisser d’arbres de haute futaie pousser derrière un mur. Les chênes, les frênes… par exemple, sont à proscrire. Sauf si la terrasse a été conçue à cet usage.
Ne pas laisser non plus se développer la petite végétation étouffante qui risque de boucher les interstices entre les pierres. Attention, notamment, au lierre qui empêche le mur de respirer et limite sa fonction drainante.
Combien ça coûte
Le prix ? C’est un point d’achoppement car il est difficile d’évaluer a priori le prix de revient d’une architecture en pierres sèches. Tout dépend de son état initial, de la configuration du terrain, de la facilité ou non d’approvisionnement en pierres, de la proximité de carrières. Le président de l’Association des muraillers nous donne juste un indice : « On peut comparer le coût de revient à celui d’un mur maçonné et dire qu’il coûtera entre vingt et cent pour cent de plus. Ce qui est coûteux, c’est la main-d’œuvre. Un mur qu’il faut remodeler avec de petites pierres existantes coûtera forcément plus cher qu’un mur où les pierres sont importées. » Et d’ajouter : « Aujourd’hui, la filière travaille sur l’établissement d’une méthode commune d’approche des coûts de revient permettant l’établissement de devis fiables. »
Sur l’organisation de la filière, Claire Cornu renchérit : « Nous collaborons aussi avec l’Éducation nationale, ainsi le Centre académique de formation continue (Cafoc) accompagne les muraillers pour élaborer une formation diplômante reconnue nationalement. »
Assurément la filière se structure. Il existe même un Réseau européen de la pierre sèche3. Tous ces éléments devraient permettre au client de choisir sans risque leur partenaire murailler.

1. www.cm-avignon.fr (dossier >>> la pierre sèche).
2. Claire Cornu est chargée de mission à la Chambre des métiers du Vaucluse. Son rayon d’intervention est aujourd’hui devenu international. Elle travaille notamment à la mise en réseau des artisans bâtisseurs en pierres sèches.
3. Le Réseau européen de la pierre sèche (REPS) veut consolider la coopération européenne interrégionale pour le développement local. Il cherche à promouvoir et réhabiliter le métier de constructeur en pierres sèches, les constructions, les paysages, les activités traditionnelles. Sachant que cette démarche permet de créer des emplois à l’intention d’un public peu qualifié.
L’objectif est d’établir des stratégies pour réactiver économiquement les zones rurales avec un patrimoine en pierres sèches notable, à partir de la divulgation et de l’échange d’expériences, tout en canalisant les efforts dans la formation, la recherche et le développement local.
www.conselldemallorca.net/mediambient/reps/presenta.jsp?lang=fr

En savoir plus
Chambre de métiers et de l’artisanat du Vaucluse • Claire Cornu
agent.eco@cm-avignon.fr
Muraillers de Provence • Paul Arnault
lesmuraillersdeprovence@hotmail.com
Artisans, bâtisseurs en pierres sèches • Marc Dombre abpsdescevennes@aol.com
Confrérie des bâtisseurs en pierres sèches • Maurice Roustan
Tél. : 04 66 26 67 64