Adhésion

Chartes des parcs nationaux : éveiller à la concertation ou raviver les conflits ?

 

Espaces naturels n°57 - janvier 2017

Le Dossier

Lionel Laslaz,
géographe, Laboratoire EDYTEM, Université Savoie Mont-Blanc, lionel.laslaz@univ-smb.fr

Lionel Laslaz, géographe, a étudié le processus d’adoption des chartes de parcs nationaux. Une façon d’évaluer la qualité de la concertation ? Il ressort de son travail que les difficultés anciennes ou annexes gênent la mise en place d’une vraie collaboration à l’échelle du territoire. Mais les débats peuvent quand même permettre d’assainir la situation.

Graffiti sur le barrage de Plan d’amont (Aussois, Maurienne, Parc national de la Vanoise) inscrit après l’inauguration d’un nouvel aménagement des parkings au pied du barrage, destiné à mieux organiser les flux touristiques.

La loi du 14 avril 20061 issue du rapport Giran de 2003 élargit le principe des chartes des parcs naturels régionaux aux parcs nationaux. Le Parc national des Écrins avait cependant pris les devants de ces logiques partenariales dès juillet 1996, avec les chartes d’environnement et de développement durable signées avec chacune des communes. Si les parcs nationaux créés après cette loi sont nés avec leurs chartes et leurs communes adhérentes, ceux de première génération, issus de la loi de 1960, ont dû la créer de toutes pièces. Ce dispositif nouveau visait à répondre aux critiques des acteurs locaux, dénonçant, au moment de leur création, des « parcs imposés ».

La rédaction de la charte selon unprocessus de co-construction, puis l’adhésion des communes, devaient aplanir par une démarche volontaire les crispations liées, depuis les années 1960 pour certains parcs, à l’immersion de réglementations contraignantes. 

Mais le processus d’élaboration de la charte fut fastidieux, quelles que soient les méthodes employées : quatre ans en moyenne, et jusqu’à huit ans en Vanoise. Les adhésions des communes se sont échelonnées entre 2012 et 2015 en fonction des parcs. Les résultats aboutissent à des taux d’adhésion de 73 % (Écrins) à 83 % (Cévennes), en passant par 75 % (Mercantour) ou 78 % (Pyrénées)2. Les stratégies adoptées pour solliciter l’adhésion d’un plus grand nombre de communes que dans l’ancienne zone périphérique se sont révélées payantes pour grossir ces taux, tant en Guadeloupe (76 %) que dans les Cévennes. Plus surprenant, les velléités d’extension des coeurs n’ont pas produit d’effets dissuasifs sur les adhésions au sein de ces deux parcs nationaux. Seule ombre à ce tableau globalement positif, la maigre adhésion avec seulement deux communes en Vanoise (7 %), la plupart des collectivités territoriales jugeant n’avoir pas besoin de l’image du parc national.

Ces constructions lourdes de chartes se sont accompagnées de résurgences conflictuelles diverses : ouvrir le débat, c’est donner la possibilité que s’expriment des oppositions. Le théâtre des discussions est aussi celui des récriminations, des frustrations, des rancoeurs enfouies. La scène des prises de parole est celle où remontent à la surface les projets enterrés, les utopies auxquelles on ne souhaite pas totalement renoncer, les promesses électorales lancées imprudemment lors de précédents scrutins. 

Dans les phases de construction des chartes, les calendriers se croisent et se heurtent. Celui de l’élaboration des SCOT, pour lesquels l’établissement public est consulté et qui doivent être compatibles avec la charte, et dont les territoires de parcs nationaux sont parmi les derniers à se doter en France (ceux de Tarentaise et de Maurienne ne sont toujours pas adoptés). La généralisation à marche forcée des PLU, l’arrivée des PLU intercommunaux ont rendu d’autant plus épineuses les discussions sur l’évolution de ces territoires, notamment autour du foncier et de l’urbanisme, à l’aune d’une projection sur quinze ans comme l’exigent les chartes de parcs nationaux. Et que dire de la directive territoriale d'aménagement (DTA devenue DTADD en 2010) des Alpes du nord, dont les élus ne veulent pas et qu’ils accusent de revenir « par la fenêtre » de la charte du PN Vanoise en 2010 ? Car si la charte n’adopte que des orientations et des mesures dans l’aire d’adhésion, d’aucuns craignent que ces dernières ne deviennent à terme des injonctions, voire des réglementations, comme dans le coeur. C’est là tout le paradoxe d’une loi portée par un élu d’un des territoires de parcs nationaux, votée par la plupart des parlementaires issus de ceux-ci, mais qui tardent, et hésitent à la faire leur, lorsqu’elle s’applique au niveau local. Sans doute le déficit d’appropriation par les agents des parcs nationaux eux-mêmes, peu rompus à cette nouvelle forme de gouvernance, explique-t-il aussi certains atermoiements des chartes.

Au final, les décisions des conseils municipaux peuvent se classer en six types. Parmi les communes ayant adhéré, les soutiens historiques du projet de parc national comme Hyères (Port-Cros), celles rejoignant une aire d’adhésion étendue (sur la Grande-Terre, Guadeloupe) ou encore celles concernées uniquement par l’ex-zone périphérique, n’ayant donc pas ressenti les contraintes historiques de l’exzone centrale (Les Belleville, Vanoise). Parmi celles ayant refusé l’adhésion, on distingue les « bastions » de résistance historique comme Saint-Christophe-en-Oisans (Écrins), les communes utilisant la scène de la charte pour négocier leur adhésion (Bonneval-sur-Arc, Vanoise) ou celles en marge de l’ex-zone périphérique, trop éloignées des préoccupations de l’établissement public (dans le Valbonnais ou le Champsaur, Écrins).

Les chartes ont parfois montré toutes les limites des tentatives d’articulation entre coeur et aire d’adhésion : si les enjeux se sont crispés sur l'aire d'adhésion, c’est bien au nom de la politique de l’établissement public et de la réglementation dans le coeur que les critiques ont vu le jour. Et vouloir contrebalancer le réglementaire par le contractuel et le partenarial n’a pas nécessairement convaincu, contre toute attente, car la crainte était que les interdictions ne se diffusent.

L’implication des acteurs (qui reste parfois timide) dans le projet de territoire que constitue la charte ne résout donc pas miraculeusement les tensions. Elle les repose sous un angle nouveau, dans un contexte où la légitimité nationale (la loi, l’État) se heurte à la sur-légitimation du local (revendication de liberté, poids de la figure du maire et du conseil municipal dans les communes rurales, décentralisation, adhésion à la charte comme gage ultime de « réussite » ou d’ « échec »), renforcée par le sentiment de « privation de parole » qu’auraient constitué les décennies ante-charte. Comme dans d’autres conflits environnementaux dont l’actualité a fait moisson, la négociation et la concertation ne constituent pas des solutions à des difficultés remontant parfois à un demi-siècle et savamment entretenues depuis. Elles posent la question du poker menteur « qui a besoin de l’autre ? » pour affirmer in fine une autorité, une autonomie, une marque de défiance bien davantage qu’une velléité de collaboration. Pourtant, le succès relatif des adhésions est annonciateur de relations plus constructives. Les nouvelles adhésions permises au bout de trois ans d’existence de la charte seraient, de ce point de vue, un indicateur éclairant d’éventuels changements de pratiques. En effet, les communes qui ont hésité à adhérer dans un premier temps pour marquer le coup de leur mécontentement pourraient être tentées de le faire lors de cette deuxième salve, par le biais d’un effet d’entraînement ; le changement des conseils municipaux lors de la troisième possibilité d’adhésion (six ans après la première) peut aussi s’avérer décisif. 

 

(1) Loi n° 2006-436 du 14 avril 2006 relative aux parcs nationaux, aux parcs naturels marins et aux parcs naturels régionaux, Journal officiel du 15 avril 2006.
(2) Au moment où nous écrivons ces lignes, les communes du Parc national de Port-Cros ne se sont pas prononcées ; elles doivent le faire d’ici la fin 2016.