Médiation

S'adapter à l'espèce et au public

 

Espaces naturels n°61 - janvier 2018

Le Dossier

Christophe Trehet

Faire tomber les idées reçues et changer les comportements au sujet des espèces mal-aimées peut passer par plusieurs chemins. Pour avoir une idée de ce qui peut être entrepris concrètement, détail de deux exemples autour du renard et de la chauve-souris : d'un côté une concertation fondée sur la compréhension des contraintes et volontés de chacun, de l'autre une approche plus ludique inscrivant l'espèce dans le patrimoine local.

S'adapter à l'espèce et au public

Chasseur de poules, porteur de maladies transmissibles à l'homme, prédateur gourmand de petit gibier chipé à la barbe des chasseurs, le renard traîne depuis des temps lointains au bout de sa queue ébouriffée tant de défauts, supposés ou avérés, qu'il ne peut encore espérer vivre tranquille. Une mauvaise réputation qui le poursuit jusqu'aux bureaux du ministère en charge de l'environnement où le goupil figure encore parmi les espèces pouvant être classées « susceptibles d'occasionner des dégâts », anciennement « nuisibles » (cf. pages 26-27), ce qu'il est actuellement dans plus de quatre-vingt-dix départements.

Résultat, il est encore chassé en France avec une intensité rare : plus de cinq-cent-mille renards sont tués chaque année, au fusil ou par piégeage. Sans pour autant que sa population ne diminue, l'ONCFS signalant dans la revue Faune sauvage en 2015 (n° 306) « une stabilité moyenne des populations de renards depuis dix ans sur une bonne partie du pays. »

La supposée nuisance du renard relève essentiellement du fantasme. Si l'on s'en tient aux risques sanitaires, objectivement plus importants en termes d'intérêt général que les autres considérations à son sujet, la rage, mortelle pour l'homme et dont il était vecteur, a disparu en France depuis 1998. Vétérinaire président d'honneur de la Société française d’étude et de protection des mammifères, François Moutou le rappelait dans une interview dans La Croix en mai 2017 à l'occasion d'un colloque sur le renard organisé par l'Association pour la protection des animaux sauvages (qui a fait du renard son symbole). Il reste cependant l’échinococcose, une maladie due à un ver plat pouvant se transmettre à l’homme mais contre laquelle on expérimente des moyens de lutte différents de la chasse.

UNE CONCERTATION ÉCLAIRÉE

Comment faire face à une telle crainte, à l'égard du renard lorsqu'on est gestionnaire d'espaces naturels ? Dans tous les cas, il faut s'armer d'un peu de patience et savoir s'inspirer de ce que d'autres professionnels ont déjà réalisé. Pour le renard, les initiatives qui semblent avoir le mieux fonctionné jusqu'à présent se placent sur le terrain de la rationalité. C'est ainsi le cas de l'opération expérimentale de lutte biologique intégrée contre le Campagnol des champs en plaine de Bièvre (Isère), animée par la Ligue de protection des oiseaux et qui associe des associations naturalistes, des agriculteurs, la Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles (Fredon) et la fédération départementale des chasseurs. Ce programme a été promu initialement par des agriculteurs qui faisaient face à des pullulations récurrentes de campagnols, celles-ci ayant des incidences sur la quantité (moindre rendement) et la qualité (contamination par la terre) des fourrages par exemple.

Ces éleveurs ont parié sur l'action des prédateurs naturels plutôt que sur l'usage de moyens chimiques, les anticoagulants en particulier dont les effets sur les autres espèces se révélaient trop néfastes. Deux prédateurs étaient visés par l'opération : le Busard cendré et le renard, ce dernier pouvant consommer entre six-mille et dix-mille rongeurs par an selon les conditions. « Dans un premier temps, lorsqu’on a travaillé sur le busard, cela n'a pas posé de problème car il s'agissait de demander aux agriculteurs de respecter leurs nids au moment des moissons », raconte Marie Racapé, chargée de mission faune et milieux agricoles à la LPO Isère et qui pilote l'opération, les agriculteurs étant les premiers bénéficiaires du maintien des nids de busard jusqu'à l'envol des jeunes oiseaux. En revanche, poursuit-elle, « lorsqu'on a abordé le  renard, ce n'était pas le même accueil car il revenait aux chasseurs de changer de pratiques... ».

Marie Racapé se fait alors pédagogue et « explique par exemple combien de campagnols un renard mange en moyenne par an ». Au fil de la discussion, chaque partie prenante au débat comprend les contraintes et souhaits de chacun et se montre prête à faire des concessions et finalement, la fédération départementale des chasseurs s'est engagée à limiter la pression de tirs sur les renards en plaine de Bièvre. « Un processus qui a pu aboutir positivement car le comité de pilotage réunissait des personnes ouvertes », précise Marie Racapé qui se réjouit que ce projet « ait montré qu'on pouvait travailler en concertation, qu'on pouvait ouvrir des portes. » L'action bénéficie aujourd'hui d'une promotion appuyée par les agriculteurs cultivant de la semence de maïs dans le territoire, ce qui lui offre un écho précieux. Un premier résultat positif, dans l'attente de pouvoir préciser les effets à moyen et long termes concernant la réduction des dégâts de campagnols et l'évolution des populations de prédateurs, ces indices n'ayant pour l'instant pas pu être évalués finement par la LPO faute de moyens.

WHO'S BAD(T) ?

Autre espèce, autre approche. Pour faire changer les points de vue sur une espèce de chauve-souris, le grand Murin, le Parc naturel régional des Vosges du Nord a opté pour sa part pour une approche inscrivant cette espèce dans la vie locale d'un village, Niedersteinbach, qui accueille une des plus grandes colonies recensées localement. Pourtant le grand Murin partait avec des points de retard, lui qui suscite d'emblée moins d'empathie qu'une biche ou une orchidée...

Chaque année, cinq-cents à mille femelles de grands Murins investissent en effet les combles de l’église du village déposant sur le sol et les murs un guano fort peu apprécié des paroissiens. Plutôt que d'adopter une démarche visant à expliquer l'écologie des chauves-souris et l’importance de les préserver, l'équipe du PNR et le maire de la commune imaginent plutôt comment jouer sur l’image positive du héros Batman et permettre aux habitants de découvrir par eux-mêmes les grands Murins, en plus de quelques aménagements permettant de réduire les nuisances sans conséquence pour l'espèce. Un dispositif qui « se place plutôt dans le quotidien des gens, pour parler de l'environnement immédiat, de notre nature à nous », explique Marie Lhospitalier en charge du projet au PNR pour faire de la chauve-souris un élément positif et attractif du territoire, plutôt qu'un énième problème environnemental. »

Cette action, engagée en 2014, démarre par l'installation d'un équipement filmant au plus près les animaux dans les combles. Cette sorte de vidéo surveillance permet de visionner les images en direct au pied de l'église sur un écran mais aussi en ligne depuis chez soi.

À partir de cette initiative originale, qui a rencontré un premier succès, tout un panel d'outils a été développé à destination d'un large public avec un sens certain de l'animation ludique. Des « bat soirées » sont proposées avec la projection d'un film, « Une vie de Grand Rhinolophe » de Tanguy Stoecklé ouvrant le bal, des expositions photos, la diffusion en direct des images des grands Murins. « L'idée était de créer des moments de convivialité, se souvient Marie Lhospitalier, et progressivement on se rendait compte que les gens suivaient la vie de la colonie de grands Murins sur internet ! » Des sorties nocturnes, en particulier lors de la Nuit de la chauve-souris, offrent l'occasion aux participants, équipés de « bat box », des détecteurs d'ultra- sons, d'écouter les sons émis par les chauve-souris. Le programme des soirées s'est ensuite élargi à d'autres espèces et d'autres espaces protégés et s'est enrichi d'un festival en octobre. Les enseignants des écoles du territoire se sont quant à eux vus proposer des « bat malettes » déclinant une série de jeux de découverte de la chauve-souris, avec entre autres le kit de « grandes oreilles » de 80 cm à coller sur sa tête pour découvrir l'effet amplificateur des oreilles des chauve-souris.

S'il est difficile d'évaluer précisément l'effet de l'ensemble de ces actions autour du grand Murin, le succès que rencontrent les soirées dans les petites salles de projection rurales est un très bon signe. « Entre cinquante et cent-quatre-vingts spectateurs, dont de nombreux élus, se réjouit Marie Lhospitalier, la chauve-souris fait peur mais en même temps elle attire du monde ! » Autre indicateur, les habitants de Niedersteinbach ne manquent pas les sessions de ramassage de guano dans les combles de l'église car il s'est révélé un très bon engrais... Les opérateurs de tourisme allemands mentionnent pour leur part les écrans de visionnage des grands Murins de Niedersteinbach dans leur programme. Signe que la chauve-souris fait désormais partie de la culture locale.

Le rôle du gestionnaire peut être d'inscrire l'espèce redoutée dans la vie locale pour la faire accepter. © PNR des Vosges du Nord