Nous sommes des colibris du web

 
Le point de vue du Professeur Feuillage
Autrement dit

Propos recueillis par Christophe Trehet

Un ton humoristique, voire gentiment potache, c’est le style qu’a choisi d’adopter le Professeur Feuillage pour ses chroniques de sensibilisation à l’environnement, publiées en ligne sous forme de vidéos.

Le point de vue du Professeur Feuillage, Youtubeur

Le point de vue du Professeur Feuillage, Youtubeur

Quel est l'intérêt selon vous de protéger les espaces naturels aujourd'hui ?

La plupart du temps, on distingue les espaces naturels des espaces investis par l’homme. Comme s’il s’agissait de réserves vierges dans lesquelles faune et flore pourraient vivre, préservées de l’influence néfaste du genre humain. En réalité, protéger les espaces dits naturels, c’est préserver l’homme.

Lorsque je regarde une carte de France, je constate que les taches vertes localisant les sites protégés constellent l’Hexagone de façon très minoritaire, comme des îlots sauvages au milieu de déserts de champs en monoculture, de zones d’activités et de béton. Cela me fait penser aux réserves africaines dans lesquelles on parque lions, zèbres et girafes, certes pour les préserver mais également pour nous préserver d’eux et accessoirement à des fins de confinement touristique. Imaginez que vous habitiez un appartement dans lequel vous vous autorisiez à jeter les détritus partout, excepté un placard de 2 m² que vous gardez propre et dans lequel vous ne rentrez jamais. Voilà à quoi me fait penser cette logique qui consiste à épargner une petite partie du territoire français des activités polluantes et cantonner les humains à leur pollution et la vraie nature à des bulles.

Considérer qu’il y a d’un côté la nature et de l’autre l’homme est une erreur. Il y a quelques jours encore nous étions avec ma partenaire Lénie Cherino des Chroniques Écologiques dans le sud de l’Inde. Nous avons décidé de visiter un wildlife sanctuary [une réserve, ndlr] du District de Wayanad… un peu à contrecoeur car il s’agissait d’une traversée en jeep sur sentier battu avec un départ toutes les 5 minutes. On nous promettait des tigres, des singes, des éléphants. Finalement, nous n’avons rien vu que des termitières géantes qui, elles, ne pouvaient pas fuir au ronronnement du moteur de notre 4x4. Il y a fort à parier que l’affluence touristique nuit à la tranquillité des animaux de la réserve. Pourtant, nous a-t-on expliqué, ce sont ces touristes qui permettent à cette réserve d’exister.

Quelques jours plus tard, nous avons été reçus par une famille d’agriculteurs dans une organic farm (ferme biologique) dans l’État du Karnataka. Il s’agissait d’un village au milieu de cocoteraies, de rizières avec un peu de jungle mais la zone était occupée par les hommes. Nous vîmes là, le temps de notre séjour, des serpents, des singes, des oiseaux de toutes les couleurs, des insectes étranges et flippants... Les agriculteurs vivaient en bien meilleure harmonie dans cette zone cultivée que les touristes et les gardes nature dans le prétendu sanctuaire du Wayanad. La biodiversité s’en ressentait.

Alors voilà, selon moi, ce n’est pas la présence de l’homme qui délimite les espaces naturels mais ses activités et son impact sur la biodiversité.

Comment percevez-vous la diversité et l'intérêt des métiers qui sont associés à la préservation des espaces naturels ?

Les métiers de la protection des espaces naturels sont pour moi comme  les métiers de l’éducation, c'est-à-dire en sous-effectifs, sous-estimés et, me semble-t-il, pas assez entendus. Il faut dire qu’il n’est pas dans l’intérêt de certains professionnels de la politique ou d'industriels que l’on entende trop fort les recommandations et avis des personnes travaillant dans l’environnement ces temps-ci. La construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est un exemple de leur manque d’influence sur les décisions fondamentales. Et pour parler de la diversité de ces métiers, j’ai eu de nombreuses fois l’occasion de constater le gouffre existant entre les préoccupations des décideurs de la politique écologique et l’investissement militant des professionnels du terrain.

Nous gagnerions à avoir dix fois plus de guides, d’agents d’information sur les sites naturels (ou ailleurs) afin de sensibiliser, de susciter des comportements responsables auprès de ceux qui continuent de dégrader volontairement ou non la nature. L’éducation est la clé ! Dans chaque classe de chaque école de la République, il devrait y avoir une fois par semaine un intervenant fonctionnaire pour enseigner la beauté de la nature et le civisme écologique. Je vous garantis que si vous emmenez une fois par mois les gosses ramasser le plastique au bord des rivières, sur les plages, dans les forêts avec un bon pédagogue, vous faites en quelques années une génération entière d’écoresponsables à bas coût ! Bref, il y a des emplois à créer…

Au travers de vos chroniques en ligne, quelle contribution souhaitez-vous apporter à la protection de la nature ?

Avec Professeur Feuillage, nous tentons de sensibiliser les internautes profanes à des sujets environnementaux majeurs. Nos vidéos abordent des thèmes variés comme le déclin des abeilles ou les gaz de schiste. L’objectif est de fournir une information complète et ludique grâce aux explications d’un professeur et de son assistante, à grand renfort de schémas et maquettes, le tout dans un « labo-bureau » aux allures de cabinet de curiosités. Afin d'amener à la cause le plus grand nombre, nous avons recours à l’humour. Il nous est parfois reproché cet humour souvent graveleux, il est vrai. Pour autant, nous restons convaincus que c’est une clé pour intéresser les gens à des sujets anxiogènes.

Le but n’est pas de transformer le public de nos chroniques en activistes zadistes du jour au lendemain, mais que chacun devienne lui-même un transmetteur de l’information, un sensibilisateur auprès de ses proches. C’est notre façon, à Lenie Cherino et moi-même, de mettre à profit notre petit savoir-faire pour une grande cause. Nous sommes des colibris du web convaincus que la peur sclérose et que le rire débloque le passage à l’action.

Á plusieurs reprises, nous avons traité de sujets concernant la protection des espaces naturels. Lorsque nous avons consacré une émission aux bienfaits du retour du loup en France, nombre d’éleveurs nous ont critiqués, insultés. D’autres personnes n’y voyaient pas un enrichissement de la biodiversité sur notre territoire mais une menace pour nos enfants. Les légendes sont tenaces… Il faudrait peut-être arrêter de raconter des histoires de grand méchant loup à nos gosses. Et puis il nous est arrivé de constater qu’un certain nombre de personnes, pourtant « écolos » n’étaient pas prêtes à modifier leur comportement, leur mode de consommation ou simplement leur point de vue pour préserver la biodiversité ou les espaces naturels.

Il paraît que notre façon de consommer a plus d’impact que notre bulletin de vote. La préservation de la nature et des habitats passe par un changement de nos comportements à tous, que ce soit le boycott de l’huile de palme, le végétarisme ou la sobriété de nos achats, tout cela change le monde plus vite que le tri de nos déchets et nos ampoules à économie d’énergie.