Continuités

Impacts indirects : la gravité des effets cumulés

 

Espaces naturels n°67 - juillet 2019

Le Dossier

Christophe Tréhet

Outre leurs impacts directs sur la biodiversité (collisions, altération des habitats), les installations de production d'énergie renouvelable provoquent une rupture des continuités écologiques. Difficile d'en évaluer la gravité, en particulier quand les effets sont cumulés avec d'autres facteurs comme le dérangement.

Centrale solaire de Montendre (en Charente-Maritime). © Marig Grouazel - LPO

Centrale solaire de Montendre (en Charente-Maritime). © Marig Grouazel - LPO

Le principal impact réside dans la fragmentation des milieux que ces installations peuvent entraîner. « Un barrage de quelques dizaines de centimètres de hauteur sur un cours d’eau peut bloquer la remontée de certaines espèces et ainsi compromettre la colonisation des milieux en amont », avance à ce sujet Pierre Sagnes de l’Agence française pour la biodiversité (AFB). Le problème se pose surtout pour les espèces migratrices qui doivent rejoindre une portion précise du cours d’eau afin d’accomplir leur reproduction. Cependant, nuance le chef du pôle recherche et développement en écohydraulique, « des espèces comme la Truite fario et le barbeau n'ont pas besoin d'aller en mer mais se déplacent aussi beaucoup en rivière ». Un comportement qui tend à s’intensifier avec le changement climatique qui peut obliger certains poissons à chercher des eaux plus fraîches en se déplaçant vers l'amont lors des périodes les plus chaudes. Enfin, poursuit Pierre Sagnes, « si une population est contingentée à une courte portion du cours d’eau ou que les échanges d'individus sont limités entre l'amont et l'aval, la diversité génétique se réduit et des problèmes de résilience de la population, voire de consanguinité, pourront se poser à long terme ». Les passes à poisson ont été conçues pour permettre aux poissons de remonter une rivière mais « certains individus peinent à franchir les passes, sont retardés et doivent éventuellement en franchir beaucoup, ce qui compromet leur arrivée à temps sur leur lieu de reproduction. Il faut donc bien considérer l’impact cumulé des obstacles successifs à franchir sur le cours d’eau », précise Pierre Sagnes. Dans certains cas extrêmes (très grandes retenues), il peut même s’avérer inutile d’installer un dispositif de franchissement piscicole, soit parce qu’il n'existe plus d'habitats favorables à l'amont (ennoyés suite à la mise en place du barrage), soit parce que les poissons qui franchiraient l'obstacle se perdraient dans la retenue du fait de l'absence de courant indiquant la direction à prendre.

EFFET CUMULATIF

Pour Geoffroy Marx, en charge du Programme énergies renouvelables et biodiversité à la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), « la fragmentation des habitats et la rupture des continuités écologiques dues aux éoliennes, par le dérangement qu’elles occasionnent sur les espèces nicheuses et de passage, ont probablement un impact plus néfaste [que les collisions, ndlr] sur les populations, en particulier pour les espèces à maturité lente et à faible productivité annuelle ». Même si, prudent, il ajoute que « l’effet cumulatif à l’échelle nationale voire continentale reste toutefois difficile à évaluer. » Des impacts sont avérés sur les aigles royaux ou encore les Milans (noir et royal) qui modifient leur espace vital, par répulsion, dès lors qu’un parc éolien est aménagé à proximité. De même, plusieurs études ont mis en évidence une « baisse de l’activité chiroptérologique autour de parcs éoliens, notamment entre mai et juillet, ce qui correspondrait à un comportement d’évitement exprimé par des populations locales habituées à la présence des machines », poursuit le chargé de mission. Pour l’ensemble des oiseaux, mais particulièrement les migrateurs, les éoliennes peuvent générer un « effet barrière » lorsqu’elles sont implantées sur leur voie de déplacement. Celui-ci augmente le risque de collision chez les oiseaux nocturnes et se traduit pour les espèces diurnes « par un dérangement conduisant les oiseaux à modifier, parfois de façon brutale, leurs habitudes de vol ». Sur ce point, résume l’analyste de la LPO, « il faut considérer les risques de collision et d'effarouchement comme les deux faces d'une même pièce [car] les oiseaux qui ne montrent pas de réaction d'évitement par rapport aux éoliennes seront souvent plus sujets aux collisions que ceux qui sont effarouchés. »

EMPRISE

On estime qu’une éolienne peut modifier l’affectation des sols sur une surface allant de 1 500 à 3 500 m² (plateforme, chemin d’accès, etc.). Dans les plaines agricoles (où la majorité des éoliennes françaises sont implantées), « la préservation des habitats est généralement bien prise en compte puisqu’il suffit d’éviter les bordures de chemins, les talus et les fossés », observe Geoffroy Marx mais les parcs mis en service dans des zones à plus fort enjeu écologique peuvent s’accompagner de dégradations plus problématiques. Le défrichement peut d’ailleurs modifier la répartition ou l’accessibilité de certaines espèces, telles que des micromammifères, des reptiles ou des insectes, qui attireront ellesmêmes des oiseaux ou des chauvessouris alors susceptibles d’entrer en collision avec les éoliennes. « Cet effet attractif ou répulsif lié à la modification du site est souvent insuffisamment pris en compte dans les études environnementales, ce qui peut conduire à mal anticiper les impacts d’un projet », juge Geoffroy Marx.