Le dossier lu par... Laurent Godé

 

Espaces naturels n°61 - janvier 2018

Le Dossier

Laurent Godé, responsable de la mission préservation et valorisation des espaces naturels, laurent.gode@pnr-lorraine.com

Espèces mal aimées, bouger les préjugés. Vipères aspic (Vipera aspis) © F. Serrecollet

Espèces mal aimées, bouger les préjugés. Vipères aspic (Vipera aspis) © F. Serrecollet

Crapauds pustuleux, vers de terre gluants et mous, araignées velues, chauves-souris griffues, minuscules grouillants, n’êtes-vous donc là que pour nous effrayer et nous dégoûter ? Certes la peur est parfois bonne conseillère. Ainsi, la peur fondamentale, ancestrale, est-elle une réponse adaptée à une situation de danger et la phobie des serpents ou des araignées remonte sans doute aux réels dangers que ces animaux représentaient pour les premiers hominidés.

Pourtant aujourd’hui, les dangers sont bien moindres et les phobies correspondent bien à leur définition de peurs irrationnelles. La géonomie (rapport que l’homme entretient avec son environnement) n’est pas facile à appréhender car elle évolue dans le temps et au travers des civilisations. La chauve-souris, symbole du vampire et du diable en Occident, est appréciée en Chine pour représenter les cinq bonheurs (richesse, longévité, tranquillité, culte de la vertu et douceur dans la mort). En France, les chouettes et hiboux étaient il y a peu liés à la nuit, annonçant la mort, symbolisée par la Dame blanche, fantôme hantant églises et cimetières alors qu’aujourd’hui, beaucoup seraient ravis de croiser une effraie lors d’une « nuit de la chouette ».

Même le terme « nuisible » évolue. Ce qualificatif non pertinent en termes écologiques n’est défini que par rapport aux objectifs humains. À l’inverse, comme le montrent les mots du droit (cf. p. 26), les réflexes et réflexions évoluent, et la construction sociale « d’espèces nuisibles » admise par tous, est maintenant supprimée par le législateur dans le Code de l’environnement. Si François Terrasson a bien exprimé ces peurs et dégoûts dans La peur de la nature, le sujet a depuis longtemps été réfléchi par les écrivains qui se sont souvent fait les avocats des « sales gueules ». Ainsi Victor Hugo plaidait « j’aime l’araignée et j’aime l’ortie parce qu’on les hait ». Christine Rollard, Françoise Serre-Collet et François Lasserre ont repris le flambeau sous des formes plus pédagogiques pour défendre, si ce n’est le physique, l’intérêt des espèces peu charismatiques.

Alors, abolissons nos préjugés et notre subjectivité, entendons le « c'est moche », le « ça sert à rien », proposons, partageons d’autres visions, d’autres regards et rétablissons juste dans leur rôle, les grouillants, les visqueux, les puants, les griffus et les poilus. Les peurs irrationnelles perdurant grâce aux ignorances, il est temps que l’éducation à l’environnement rétablisse les vérités de nos mal aimés de la biodiversité !