Le scalpel de la biologie moléculaire

 

Espaces naturels n°63 - juillet 2018

L'entretien

Les peurs que génèrent de telles technologies sont à la hauteur des espoirs qu’elles soulèvent.

Qu’est-ce que CRISPR-Cas9 ?

Cet acronyme imprononçable (prononcer «  krispeur-cassenaïne  ») désigne un outil génétique mis au point en 2012 qui permet de détecter une séquence d’ADN particulière, puis de l’éditer avec précision… le tout selon un mécanisme relativement simple. « CRISPR » signifie « Répétitions (des bases sur l’ADN) palindromiques groupées et espacées régulièrement » et désigne une succession de petites séquences d’ADN qui servent de guide pour positionner «  Cas9  », l’enzyme qui coupe l’ADN. Dès la publication de cet outil décrit par la Française E. Charpentier et l’Américaine J. Doudna, en janvier 2013, des applications se sont enchaînées avec succès, modifiant des gènes variés, dans diverses espèces (bactéries, nématodes, mammifères, etc.). L’outil est non seulement pertinent pour la recherche fondamentale, mais il a aussi des applications concrètes pour les productions agricoles et la santé. Auparavant, de telles manipulations nécessitaient des moyens conséquents, et les résultats n’avaient rien à voir, en rendement comme en précision, avec ce que CRISPR-Cas9 permet aujourd’hui de réaliser. Pour donner une image, on peut dire qu’on est passé de la tronçonneuse au scalpel du biologiste moléculaire, qui peut désormais « bricoler l’ADN » à bas coût… N’importe qui, ou presque, peut en effet acheter, sur internet, des « kits CRISPR-Cas9 » et les utiliser dans son laboratoire. Cette technologie a encore gagné en puissance avec l’arrivée du forçage génétique grâce auquel on peut désormais garantir qu’une mutation génétique introduite par CRISPR-Cas9 se transmette à tous les descendants d’un individu. On peut ainsi changer les comportements et les propriétés d’une espèce  ; on pourrait même la faire disparaître de la surface de la terre.

 

Quels nouveaux enjeux éthiques ?

La simplicité de la technologie, sa démocratisation, le fait qu’elle soit accessible à bas coût soulèvent des questions éthiques. On peut légitimement s’interroger sur la porte ouverte au bioterrorisme. Modifier le support direct de l’hérédité qu’est l’ADN interroge, à juste titre, même s’il faut se méfier des fantasmes et de la référence au principe de précaution à outrance. Le principal frein au développement de technologies génétiques provient de la possibilité de breveter le vivant à des fins commerciales. Des individus ou entreprises privés peuvent ainsi mettre la main sur le vivant, et forcer les utilisateurs à payer pour un usage qui était gratuit jusqu’alors. On pense au cas de Monsanto, qui produit des semences stériles, obligeant les agriculteurs à les racheter chaque année… Un autre enjeu est le relargage de gènes dans la nature et le transfert non intentionnel à des espèces et groupes génétiques qui n’étaient pas ciblés, avec des conséquences difficiles à évaluer (par ex. gènes de résistance à des antibiotiques ou pesticides, etc.). Les peurs que génèrent de telles technologies sont à la hauteur des espoirs qu’elles soulèvent.

 

Quel contrôle aux niveaux national et international ?
En France, si le monde de l’environnement ne s’est pas encore réellement emparé du sujet, différentes instances s’y sont intéressées sur le plan éthique. J’ai été auditionné par le comité national d’éthique. Le haut conseil des biotechnologies s’est penché sur le sujet. L’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) recommande de poursuivre les recherches sur ces nouvelles biotechnologies de manière à en cerner mieux les avantages réels et à en préciser les risques. Aux États-Unis, des lanceurs d’alerte se sont inquiétés de l’opacité des financements dédiés à ces recherches. La question dépasse le champ de la biologie : éminemment politique, foncièrement philosophique, elle doit nous permettre de revisiter nos standards sur les plans éthique et déontologique. 

 

(1) Unité mixte de recherche Institut de recherche pour le développement/CNRS/Université de Montpellier bit.ly/2LEEihU