J'aime l'universalité de la nature

 
Le point de vue d' Émeric Chantier artiste plasticien
Autrement dit

Propos recueillis par Anne Perrin

Il élabore ses compositions oniriques fourmillant de détails à l’aide d’une pince à épiler. Jeune plasticien talentueux, Émeric Chantier a prêté ses sculptures à une exposition récente « Les mousses, sentinelles de la pollution » du Musée de l’Homme. L’occasion d’échanger avec cet artiste dont l’œuvre interroge le rapport de l’homme avec la nature.

Le point de vue d' Émeric Chantier artiste plasticien

Le point de vue d' Émeric Chantier artiste plasticien

Quel est votre rapport à la nature, en tant qu’individu et en tant qu’artiste ?

J’ai grandi en banlieue nord de Paris à l’époque où il y avait encore des forêts et des champs entre HLM et zones pavillonnaires. Mais une grande partie de ma famille vit dans le Cantal. C’est une région à laquelle je suis très attaché, c’est verdoyant, ancien, abrupt, chaleureux, ce qui me touche particulièrement. Toute mon enfance a été bercée par les récits et le folklore de la montagne auvergnate, une montagne très ancienne, adoucie par l’érosion, dont j’aime les volumes, moins agressifs que ceux des Alpes. Dans le Cantal, on est un peu « chez le hobbit ». Ce qui m’intéresse dans la nature, c’est son caractère universel. Nous sommes et faisons partie de cette nature. Nous avons créé une forme de hiérarchie avec elle. Nous pensons, au pire, la dominer, au mieux, vivre en cohabitation respectueuse. Mais en fait, nous sommes indissociables.

 

Qu’est-ce qui vous a amené à votre travail actuel, et comment avez-vous développé votre technique ?

Très jeune, j’ai travaillé dans le bâtiment, pour me payer une préparation artistique. Dans le milieu de la décoration, j’ai rencontré des personnes qui m’ont soutenu pour, à vingt ans seulement, me mettre à mon compte en tant que décorateur… En parallèle, je bricolais mes sculptures, dans mon coin. Cela m’a permis de trouver des techniques, de chercher des matériaux, à base de moulage et de collages… Ce sont les volumes que j’aime travailler. En tant qu’artiste, dès le départ, j’ai été attiré par le challenge technique d’imiter la nature. Elle est tellement bien faite que mon travail de « faussaire » n’a pas été simple. J’ai mis plusieurs années, à peu près six ans, à développer une technique qui soit satisfaisante. Avec le temps, je me suis attaqué à des œuvres plus grandes, mais mon travail est très lent. Une bonne partie d’étape se passe en effet à la pince à épiler. Ainsi, si je m’efforce de repousser les limites techniques de la création, elles existent...

 

Vous insistez sur la dimension « non moralisatrice » de votre engagement. Pourquoi ? 

Je n’ai pas d’acte militant. On a une conscience, chacun, plus ou moins, de ce qui se passe. Pour mon travail, je ne ramasse pas les fleurs rares, et la plupart des fleurs que je trouve - dans le Cantal, un peu partout en montagne, dans les Alpes, en Corse, c’est au mois d’août, lorsqu’elles sont bien séchées. Ensuite, je les repeints. Je n’ai pas de légitimité pour faire la morale à qui que ce soit. Mon travail c’est de me poser des questions d’ordre générationnel. L’avenir de la biodiversité, notre place au sein de cette biodiversité, ce sont des questions que je me pose et que j’essaie de mettre en forme.

 

Mes sculptures sont des questions, pas des réponses. La nature y prédomine visuellement, mais ce sont des questions et réflexions autour de l’homme que je pose. Comme la plupart des artistes. On pourra toujours étudier les baleines, on ne sera jamais en mesure de savoir ce qu’elles pensent, ressentent ou voient.

 

Qu’est-ce qui a motivé votre participation à l’exposition « Les mousses, sentinelles de la pollution » organisée par le Musée de l’Homme ?

J’ai été très flatté lorsque l’on m’a sollicité pour cette exposition, car le Musée de l’Homme n’est pas un simple musée pour moi. Quand je travaille, j’écoute énormément de conférences scientifiques de divers horizons. Une évolution que je constate et apprécie, c’est que les chercheurs sont de plus en plus humble et acceptent qu’il y a des choses que l’on ne comprend pas, et qui demeurent incompréhensibles. J’adore par ailleurs le Muséum, je flâne souvent à la Grande galerie de l’évolution.

 

De façon générale, quel est l’accueil réservé à votre œuvre et qu’en pensez-vous ?

Je travaille à différents niveaux, et cela engendre

une multiplicité de lectures. En général, le traité est floral, doux, charmeur, mais les volumes peuvent être plus durs. Lorsque je discute avec le public, j’ai des retours très différents, avec des gens qui trouvent mon travail frais, positif, et d’autres qui y voient un message pessimiste. Si chacun interprète ainsi chaque œuvre, en fonction de sa sensibilité, j’ai l’impression d’avoir gagné mon pari. Mais il y a aussi plusieurs interprétations pour une seule et même personne, selon qu’elle regarde l’œuvre dans sa globalité, ou qu’elle s’en rapproche. À l’échelle micro, mes sculptures fourmillent de détails. En se rapprochant, on perd de vue l’ensemble de l’objet, on est dans un univers à part, où chacun peut rêver à sa guise.