Une révolution est en cours
Espaces naturels n°65 - janvier 2019
Permettant des suivis réguliers et récurrents, à moindre coût, quels que soient les milieux ou les espèces, les drones ont, au cours des cinq dernières années, révolutionné le suivi environnemental. Les technologies évoluent à chaque instant, et les usages sont multiples et variés. Retours d’expériences.
JJérôme Fouert Pouret, animateur Natura 2000 à la mission patrimoine naturel du Parc naturel régional (PNR) des Landes de Gascogne, veille sur un des sites de vallées et de mares forestières d’origine naturelle appelés localement « lagunes ». En 2016, il s’est intéressé aux drones comme outils pour veiller sur l’état de conservation des lagunes et habitats relevant de Natura 2000 et suivre leur évolution. Depuis lors, équipé d’un drone Phantom 4 pro, il effectue avec l’un de ses collègues un suivi photographique régulier d’une grande précision. Ce qui l’a attiré dans cette technologie ? La possibilité de consolider les mesures effectuées lors des suivis, d’obtenir des informations inédites et la capacité de les réexploiter ultérieurement. Il a souhaité se former et s’équiper plutôt que de faire intervenir un prestataire pour l’aspect financier, mais également pour la réactivité et la récurrence rendues possibles par la possession d’un drone en interne. Sa formation, un brevet de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), effectuée en 2017 en même temps qu’un cartographe géomaticien du PNR, a été complétée par une formation en photogrammétrie pour valoriser les acquisitions dans les règles de l’art. L’animateur Natura 2000 précise que cela lui a demandé un réel investissement personnel (outre le coût financier : 8 000 euros pour deux personnes), « on a bachotté, on s’est entraîné au pilotage sur un terrain de rugby ». Équiper le PNR a été moins coûteux qu’estimé initialement : « Nous avons également obtenu le logiciel de traitement d’image PIX4D sous licence à moitié prix du fait de son usage à titre non commercial, si tant est qu’au final, le coût initialement estimé à 20 000 euros TTC pour formation, équipement et homologation s’est avéré moindre. » Mais pour garantir la précision des données, il a fallu installer au sol des bornes de géolocalisation, demander des autorisations en mairie, faire appel à un géomètre. Trente bornes ont été installées, qui permettent de couvrir aujourd’hui une trentaine de kilomètres carrés. En 2018, les tout derniers modèles proposés par DJI sont en cours d’acquisition au PNR afin d’éviter cette phase contraignante de géolocalisation par mire et borne.
La régularité du suivi et sa précision centimétrique sont sans pareil. Jérôme Fouert Pouret, n’étant pas dans une zone sensible, n’a pas à ce jour eu à gérer de problème de dérangement de la faune, mais plutôt à gérer des déclarations régulières des scénarios de vol auprès de l’armée.
CARTOGRAPHIE ET SUIVIS D’ESPÈCES
Olivier Basuyaux, responsable du pôle recherche et développement du Smel (syndicat mixte Synergie mer et littoral, basé à Blainville-sur-Mer dans la Manche), s’est intéressé aux drones à peu près à la même époque que Jérôme Fouert Pouret. Après une expérience mitigée de recours à un prestataire (une prestation coûteuse, aux résultats peu satisfaisants), pressentant que la technique pouvait être intéressante à plusieurs égards, il s’est formé au pilotage. Depuis lors, le Smel a acquis un drone Phantom4 pro, et le chercheur-télépilote y consacre environ 20 % de son temps. Effectuant des cartographies d’espèces, hermelles, zostères, salicornes, des comptages de poches ostréicoles, mais aussi un suivi des mouvements sédimentaires en relation avec la faune associée, le chercheur est de plus en plus sollicité.
Le traitement des données est un point crucial.
Il apprécie la qualité et la précision des données, leur rapidité d’acquisition, et la souplesse liée au fait d’avoir un drone au sein du Smel. « Un gamin de cinq ans peut piloter un drone sans problème, tout est automatique ou presque. Mais il faut plus qu’un télépilote pour réaliser des suivis, il faut quelqu’un qui sache analyser les données, et les utiliser… » déclare ainsi Olivier Basuyaux. Le chercheur insiste sur la nécessité d’être entouré de chercheurs, de techniciens, d’étudiants, qui puissent traiter les données dans la foulée de leur obtention. Sans quoi, les données risquent de s’amasser inutilement. Le traitement des données est un point crucial. « On s’égare si l’on pense que l’achat d’un drone est suffisant pour s’équiper ; il faut également des ordinateurs puissants, qui doivent être dédiés au traitement de données et au stockage » insiste-t-il. Il précise : « Un investissement global compris entre 12 000 et 18 000 € est indispensable. » Outre le suivi d’espèces, Olivier Basuyaux a mis en place un suivi régulier du trait de côte, dans l’objectif d’avoir une vision sur le temps long de l’évolution de la côte. « Il y a quatre ou cinq ans, la mer a traversé la dune. À l’époque, on ne l’a pas vu arriver. Mais nous savons que cela va se reproduire. L’idée, grâce à l’orthophotographie, c’est de suivre l’évolution du trait de côte régulièrement avec un vol sur trois secteurs spécifiques, tous les quatre mois. » Piloter son propre drone limite le délai de latence inhérent à la disponibilité d’un prestataire. Mais cela n’empêche pas les délais d’attente liés aux autorisations. Difficile de savoir, trois semaines avant le vol, si la météo sera favorable, or les délais d’obtention d’autorisation peuvent aller de deux à trois semaines.
Les avis divergent sur l'utilité et la pertinence de l'usage systématique du drone pour les suivis d'espèces.
Quant à l’acceptation du drone, le chercheur remarque qu’elle n’est pas la même selon les suivis. Sur la salicorne par exemple, vu les distances importantes à parcourir dans la boue et les difficultés liées aux marées, les gestionnaires ont fait un très bon accueil au drone. Tel ne fut pas le cas, regrette Olivier Basuyaux sur un site proche d’une falaise où nidifiaient des goélands. « On devait faire voler le drone dans le cadre d’un travail sur le mouvement sédimentaire, mais nous avons reçu une interdiction de survol. Je n’ai pas compris cette interdiction, en effet j’ai déjà filmé des goélands1, et à moins de 10 m d’altitude, ils ne bougent pas. Par ailleurs, j’avais proposé aux personnes réticentes vis-à-vis du survol en drone de faire des photos de la falaise en 3D, ce qui leur aurait permis un suivi plus précis des oiseaux mais ma proposition a été rejetée par peur, sans doute, d’une perte de reconnaissance. Pourtant, si le drone permet certaines choses, il ne fait pas tout. »
SUIVRE SANS DÉRANGER ?
Ces deux expériences ne sont que des cas isolés parmi tant d’autres. Les avis divergent sur l’utilité et la pertinence de l’usage systématique du drone pour les suivis d’espèces. Association basée en Normandie, dans le Calvados, le Groupe mammalogique normand a ainsi testé un drone pour le suivi des phoques, sans succès. L’engin ayant, en effet, en stationnaire, provoqué un dérangement du groupe qui a paniqué. Cette expérience les a dissuadés de réitérer le test. Plus encore que les mammifères et les espèces sous-marines, les oiseaux sont particulièrement sensibles aux drones. Là encore, la nuance s’impose : le dérangement dépend de leur habitat, de leur état (site de nidification d’espèces sensibles, etc.). Le CEN LR a réalisé des suivis de laro-limicoles en période de reproduction par drones sans observer aucune réaction de leur part. Les vols étaient effectués à au moins 30 m d’altitude, en ligne droite, avec des prises de clichés rapides en différents points uniquement.
Mais l’absence de réaction visible n’est pas signe d’absence d’impact d’un survol de drones. S’il n’y a pas de réaction comportementale, un stress peut provoquer une réaction physiologique. Des chercheurs ont ainsi mesuré une augmentation de la fréquence cardiaque chez cinq Manchots d’Adélie qui ne montraient aucune réaction corporelle physique.
Dans son rapport de stage intitulé « État des lieux des connaissances sur l’impact des drones sur les sites Natura 20002 », Margot Reyes note que, contre toute attente, l’impact des caractéristiques du milieu (semi-captif / espace naturel), n’est pas déterminé. Ainsi, indique-t-elle, des scientifiques ont comptabilisé 72 % d’absence de réaction chez des Canards colverts du zoo de Montpellier contre 78 % chez des Flamants roses et 87 % pour les Chevaliers aboyeurs en milieu sauvage.
DU DRONE… À LA LOUPE
Comme toute nouvelle technologie, les drones suscitent autant de craintes que d’enthousiasme… Faisant preuve d’autant d’intérêt que de circonspection, Olivier Basuyaux alerte sur les limites aux libertés individuelles. « Je ne conçois pas de me séparer du drone pour revenir en arrière. Mais c’est un outil dangereux par rapport aux libertés individuelles. Quand je vois ce qu’on peut faire parfois, ça me fait peur. » À l’heure d’une crise environnementale d’une ampleur sans précédent, il semble sage de profiter de ce que cette nouvelle technologie apporte, tout en se méfiant de l’augmentation exponentielle des données numériques, pour les gestionnaires ... comme pour la planète. Jérôme Fouert Pouret, quant à lui, insiste : « Le drone n’est qu’un outil de plus dans la mallette de l’agent de terrain, il n’a pas pour but de le remplacer, on continuera à faire de la botanique à l’aide d’une loupe à oeil et d’interpréter les communautés végétales les bottes aux pieds. »
(1) Pour plus d’information, cf. expérience de Franck Latraube, ornithologue chargé de mission à la LPO (survol d’une colonie de goélands) sur youtube : bit.ly/2DtdArZ
(2) REYES M., 2018. État des lieux des connaissances sur l’impact des drones sur les sites Natura 2000. UMS 2006 Patrimoine naturel, AFB/CNRS/MNHN, 24 p. juin 2018.