Le point de vue de Meriem Menant

 
avec le contrepoint d'Emma la clown

Espaces naturels n°67 - juillet 2019

Autrement dit

Propos recueillis par Anne Perrin

Formée à l’école internationale de théâtre Jacques Lecoq, Meriem Menant a créé Emma la clown en 1991. Toujours tendre, réfléchie et drôle, elle aborde depuis lors des questions fondamentales souvent en lien avec la nature. À la vie comme à la scène, Meriem-Emma la clown ont tant de choses à nous dire.

Meriem Menant avec le contrepoint d'Emma la clown

Que ce soit avec le Bottin botanique ou le Bestiaire à bestiaux, vous avez souvent ancré vos créations dans la nature. C’est quoi, pour vous, la biodiversité ?

Je trouve que c’est un joli mot, « biodiversité ». Ça évoque pour moi la vie dans sa diversité. Quelque chose qui se passe bien, dans une forme d’équilibre entre les espèces animales et végétales. Ça parle d’un monde où l’homme est un terrien au même titre que le pou ou le cheval. Je considère aussi la biodiversité comme quelque chose qui évolue, qui est intégré à un immense écosystème, dans le cosmos, où tout est en interaction, interdépendant. Je pense aussi que la biodynamie, l’action des planètes sur la nature, fait partie du concept de biodiversité sur terre.

Que faire pour protéger la biodiversité ?

Il faut déjà prendre conscience qu’elle est réellement menacée ! En avoir une conscience intime, en sachant qu’on en fait partie ! Et elle n’est pas seulement extérieure à nous, on a aussi une biodiversité intérieure, de coeur, d’âme, mentale. Enfant, chez ma grand-mère en Ardèche, je me souviens qu’il y avait des myriades de papillons. Aujourd’hui, ils ont pratiquement disparu. Mais j’ai ce souvenir, cette richesse en moi. Protéger la biodiversité c’est ainsi se protéger soi-même, intimement. Le problème c’est qu’on a été tellement séparés de la nature, qu’on a oublié d’où l’on vient. Un psychanalyste argentin a dit que pour la santé mentale il faudrait dormir à même le sol au moins une fois par an… Les enfants aiment tellement la nature, se promener, ramasser des têtards, un enfant que vous mettez dans la nature, il ne veut plus la quitter… La nature c’est aussi un autre rapport au temps. Marcher, se promener, accepter que le temps soit plus lent. Je ne comprends pas cette société de consommation, tellement égocentrée, ce business de la nature, le ski alpin, les quads et autres scooters des mers, c’est tellement égocentrique, de la grande bêtise ! Savez-vous comment on appelle les selfies au Québec ? Les « égoportraits »… Protéger la biodiversité c’est aussi reconsidérer sa manière de s’alimenter. Je suis végétarienne, c’est un choix éthique. Outre les impacts désastreux de l’élevage intensif, de quel droit manget- on des animaux ? J’aime beaucoup L214, ils montrent ce qu’il se passe dans les abattoirs, sans culpabiliser les gens. Un autre moyen de préserver la biodiversité, c’est la sobriété. Utiliser des énergies renouvelables est inutile si l’on ne modifie pas notre façon de consommer. Et d’où vient ce si grand besoin de consommation ? En nous reconnectant à la nature et à notre nature profonde, on pourrait changer nos habitudes. C’est souvent la peur, et la paresse aussi, qui nous immobilisent... Alors que poser un acte de grand changement c’est tellement bénéfique pour son esprit, pour son coeur, et au final pour les autres.

En tant que clown, pensez-vous avoir un rôle à jouer pour protéger la biodiversité ? Emma est-elle une clown engagée ?

Quelle part puis-je apporter ? Les gens qui viennent me voir sont déjà sensibilisés. Il manque un héros, quelqu’un qui ait le courage de faire changer les choses. En tant que clown, il est difficile d’avoir voix au chapitre. En 2000, j’ai essayé de faire rentrer Emma à la télévision, sur Canal+. L’idée était qu’elle donne des petites recettes de cuisine. On m’a dit que ça n’était « pas assez gore »… Le clown n’est pas un bouffon, sa grande force, c’est la tendresse. Il nous met dans cet endroit où l’on se sent fragile, mais relié aux autres, par l’Agapè (amour inconditionnel des Grecs) propre aux communautés humaines. Gilles Defacque, qui a commencé le clown dans les années 1970, raconte qu’à l’époque c’était très mal vu d’être fragile. La société a changé, car je sens, quand je joue, que les gens sont de plus en plus sensibles à cette tendresse, peut-être parce que le monde nous en donne de moins en moins. Le clown ne fait pas forcément rire, mais il bouleverse, cet être seul sur scène, si maladroit, tellement inadapté, touche à quelque chose dont on manque profondément aujourd’hui. Il faudrait que les directeurs de théâtre ouvrent la porte davantage au clown…

Avez-vous un lieu privilégié dans la nature ?

J’ai un vrai rapport de proximité avec la nature. Mes parents aimaient beaucoup la marche. J’ai eu la chance d’en profiter. J’aime les monts d’Arrée, le cap Frehel en Bretagne, d’où je suis originaire. Plus jeune, j’ai passé beaucoup de temps en Ardèche. Ses odeurs, ses sons... les cigales, les grandes sauterelles, les escargots... petits on est plus proches de la terre, c’est physique ! Et cette riche nature elle est en moi, toujours. Récemment j’ai refait une balade que j’aime bien dans le Loir-et-Cher. Je me suis aperçue que les grands chênes d’une haie avaient été coupés. Ils devaient gêner les propriétaires du terrain. La vue peut-être ? Je ne comprends pas que l’on puisse couper un arbre comme cela. Pour moi, un arbre n’appartient pas au propriétaire du terrain où sont ses racines, mais à tous ceux qui respirent l’oxygène qu’il génère. Il paraît qu’en Allemagne, une loi protège les arbres. En France, seuls les arbres dits remarquables sont protégés. On pourrait faire une pétition pour que les choses changent… ?