Un art, une éthique
Espaces naturels n°64 - octobre 2018
"Beaucoup de réalisateurs aimeraient être libres et raconter des choses authentiques, mais ils doivent s’inscrire dans des cases documentaires, avec des formats contraints."
Pourquoi le cinéma animalier est-il un genre à part dans le cinéma ? Je parlerai plus volontiers de « films » que de « cinéma animalier », dans la mesure où ces films ne sont pas diffusés qu’au cinéma, mais aussi à la télévision, ou pour des commandes spécifiques. Les films animaliers constituent un genre à part, avant tout car ils nécessitent une technique particulière. Certes, le cinéma est un art du mouvement, et l’animal y a toujours été présent. On trouve ainsi des séries de photos de chevaux en mouvement dès la chronophotographie de Jules Marey, un ancêtre du cinéma. Mais pour filmer des animaux, pour s’en rapprocher au maximum, des technologies spécifiques ont été développées. Jean Painlevé, qui a participé à créer l’Institut de cinématographie scientifique en 1930, a d’ailleurs créé le prix de la Commission supérieure technique de l'image et du son, de nombreuses fois remis à des films animaliers ou de nature. La spécificité tient également à l’écriture des films, avec l'altérité animale comme matière. Cela pose question : doit-on mettre en scène la nature ? Peut-on la représenter fidèlement ? Jusqu'où aller dans l'anthropomorphisation des comportements des animaux ?
En quoi les films animaliers reflètentils notre rapport au monde animal ? À la télévision, les films animaliers se distinguent, voire s’opposent très clairement entre émissions didactiques et films de divertissement en quête de spectaculaire. Le suicide des lemmings filmé dans le documentaire de Disney Le désert de l’Arctique en 1958 en est un triste exemple, avec des animaux censés se suicider en masse, en réalité poussés dans le vide. Aujourd’hui les animaux sont plus respectés. Mais on trouve encore des « fictions animalières », avec une histoire, des personnages, etc. dans lesquelles on filme des animaux « imprégnés » (animaux sauvages mais habitués à fréquenter les humains) voire élevés pour le cinéma. L’idée étant de contraindre la nature à ce que l’on attend d’elle. Les films animaliers sont une industrie essentiellement tournée vers la télévision, elle-même guidée par l’audimat… Beaucoup de réalisateurs aimeraient être libres et raconter des choses authentiques, mais ils doivent s’inscrire dans des cases documentaires, avec des formats contraints.
Les nouvelles technologies bouleversent- elles le cinéma animalier ? Les films animaliers ont toujours été porteurs d’innovations et les évolutions technologiques influencent l’esthétique des films. La caméra s’est faite plus légère, on a pu l’apporter un peu plus loin, la puissance du téléobjectif a permis d’approcher des animaux jusqu’alors inaccessibles. On le voit aujourd’hui avec les films de Jacques Perrin (Océans, Le Peuple migrateur, etc.) qui communique sur le fait qu’il développe des technologies, pour être oiseau parmi les oiseaux, poisson parmi les poissons, etc. Les drones ont rapidement acquis une place incontournable, de sorte qu’aujourd’hui un film tourné voici 4-5 ans, sans drone, est déjà comme « daté ». Cela dit, les drones posent la question éthique du dérangement des animaux sauvages. Outre les drones, une tendance actuelle est l’utilisation d’images de caméras piège, jusqu’alors destinées au comptage scientifique. Depuis quelques années, on trouve aussi des caméras qui arrivent à filmer quasiment de nuit. Filmer des espèces protégées n’est pas anodin… Les réalisateurs consciencieux travailleront en collaboration avec des gardes nature ou des scientifiques experts pour les espèces très délicates. Les autres non. Il n'y a pas de règlement professionnel, et chaque tournage ne peut être validé que par les gardes naturalistes. Mais bien des tournages se font à l'abri des regards, seule l'éthique personnelle des cinéastes entre alors en jeu. • Propos recueillis par Anne Perrin