Guyane

La médecine chamanique, réconcilier nature et santé

 

Espaces naturels n°63 - juillet 2018

Le Dossier

Les chamanes de Guyane, défenseurs d'un usage respectueux et parcimonieux de la nature, tendent à disparaître. Marie Fleury, ethnobotaniste, en appelle à une meilleure écoute des peuples autochtones1 pour la sauvegarde de l’harmonie entre l'humain et son environnement.

Usage d'une liane médicinale en forêt.

Usage d'une liane médicinale en forêt.

La Guyane est un terreau fertile pour développer des relations être humainnature. En effet, ce territoire couvert de plus de 80 000 km2 de forêt dense tropicale humide reste peu peuplé (moins de 300 000 habitants) et est extrêmement riche en biodiversité2 et en diversité culturelle3 . Les hommes y ont développé différentes manières de se soigner à partir d’éléments puisés dans la nature : écorces, feuilles, racines, lianes mais aussi coquillages, argiles, cailloux, etc. Ces méthodes de soins persistent jusqu’à nos jours, notamment sur le Haut-Maroni, où nous avons mené nos travaux en ethnobotanique depuis 1986. En réalité, la nature ne fournit pas que matière à soigner, elle est également source d’inspiration, notamment chez les peuples autochtones. En effet l’homme a toujours observé les animaux pour en tirer des leçons et de nombreux mythes racontent comment l’homme s’est inspiré de ceux-ci pour découvrir l’usage des plantes. C’est vrai pour la nivrée (technique de pêche utilisant des plantes pour asphyxier les poissons) par exemple. La forêt inspire l’homme, et une observation très fine de la nature donne lieu à de nombreux interdits, alimentaires et comportementaux. C’est l’homme qui appartient à la nature et non pas l’inverse, et s’il veut maintenir cet équilibre, qu’il sait fragile, il doit respecter certaines règles, qui sont toujours des règles de bonne mesure : ne pas trop chasser, ni pêcher, ni manger, demander l’autorisation aux plantes avant de les cueillir pour en faire des remèdes… De nombreuses connexions sont faites entre animaux et végétaux en fonction de la force de leurs esprits (jolok chez les Wayana). Des correspondances sont établies entre plantes et animaux leur attribuant certaines propriétés en fonction de leur forme, leur couleur, ou encore leur biotope : une sorte de théorie des signatures. Ainsi, les plaies diagnostiquées comme dues à l’ingestion de tapir (Maïpuli, Tapirus terrestris), un interdit alimentaire sont-elles soignées à l’aide de la liane maïpuli imë (Dioclea macrocarpa, Leguminosae) dont la sève rappelle aux Wayana le sang du tapir.

C’est sur cette lecture très particulière de la nature que se base l’usage des plantes par les chamanes wayana et wayãpi. Cette médecine chamanique fonctionne comme une réponse réparatrice de l’homme à l’univers, quand un déséquilibre a eu lieu par manque de respect des règles dans les rapports entre les êtres humains et la nature. Chez les Amérindiens, seul le chamane bénéficie de la capacité d’entrer dans ce monde autre, celui des esprits de la nature, où il peut négocier du sort des humains. Malheureusement, dans toutes les communautés de Guyane, les chamanes disparaissent sans être remplacés, faute de candidats et de conditions propices à leur succession. Il semble que les rapports homme-nature soient mis à mal, en Guyane, comme partout ailleurs dans le monde. L’appât du gain et la soif de l’argent (et de l’or en Guyane, en particulier) se substituent à une approche philosophique spirituelle de la nature, qui permettait d’en respecter l’équilibre. Seule une écoute de la voix des autochtones, bien peu respectée actuellement, et de leur vision de la nature, et donc de la biodiversité, pourrait peut-être apporter un sursaut de solution. Mais sommesnous prêts à les écouter vraiment ? 

(1) Six peuples autochtones vivent en Guyane  : Kali’na, Lokono (Arawak), Palikur (Palikuyene), Teko, Wayana, Wayãpi. Nous abordons dans cet article essentiellement des exemples tirés chez les Wayana, peuple avec lequel nous travaillons depuis 1996.

(2) Au moins 440 000 espèces végétales et animales ont été décrites et de nombreuses autres restent à découvrir…

(3) Une quarantaine de langues différentes est parlée en Guyane.