Villeneuve-les-Salines joue la carte nature
Espaces naturels n°63 - juillet 2018
À La Rochelle, la restauration d’un marais au cœur du quartier populaire de Villeneuve-les-Salines a rapporté de nombreux bénéfices environnementaux, écologiques et sociaux. Les habitants y ont considérablement gagné en bien-être.
Les bénéfices du contact avec la nature pour la santé humaine sont connus depuis longtemps et chacun d’entre nous en a certainement fait l’expérience à titre individuel. Ces bénéfices sont également de plus en plus documentés par des études issues de disciplines diverses. Ces études démontrent les effets positifs de l’accès à des espaces verts sur le plan physique (réduction de l’obésité par l’activité physique), psychosocial (réduction du stress, sentiment d’apaisement) ou relationnel (opportunités de rencontre sociale et d’activités). En matière d’aménagement urbain, les expérimentations cherchant une meilleure intégration de la nature au cadre bâti se multiplient : si certaines pratiques restent limitées à des aménagements paysagers où la nature joue essentiellement une fonction de décor, d’autres initiatives, comme par exemple certains projets d’agriculture urbaine, poussent l’ambition un peu plus loin, en contribuant à une transformation écologique et sociale des territoires.
À La Rochelle, une démarche innovante a été conduite, proposant de placer le bien-être au cœur des réflexions sur l’avenir d’un quartier construit dans les années 1960 sur une partie asséchée d’un ancien marais salant. Ce territoire fait actuellement l’objet d’un double programme : un vaste projet de renouvellement urbain, et un projet d’aménagement et de valorisation du marais qui présente des fragilités sur le plan hydroécologique, conséquences notamment de l’étalement urbain et du contact perdu avec l’océan. Dans ce contexte qui mêle enjeux écologiques et sociaux, la démarche proposée a conduit à chercher ce qui pourrait contribuer au bienêtre des habitants de ce quartier populaire en voie de relégation1 par rapport au reste de la ville. Le travail a été porté par des chercheurs du CEARC2 de l’université de Versailles Saint-Quentinen-Yvelines qui s’intéressent aux liens entre santé et environnement, dans le contexte des changements globaux, y compris climatiques.
LES VILLENEUVOIS AU CŒUR DE L’EXPÉRIMENTATION
Au démarrage de cette démarche, les diagnostics et indicateurs classiques pour décrire le quartier - comme la présence d’équipements publics et leur fréquentation, le taux de refus d’attribution de logements sociaux, ou encore le nombre de chômeurs ou de jeunes déscolarisés - ont permis de se familiariser avec le territoire. Mais ils n’of- Espaces naturels n° 63 juillet - septembre 2018 33 le dossier Inséparables, santé et biodiversité fraient qu’une compréhension partielle et technicisée de ce que vivent les habitants. Reconnaissant qu’il ne peut exister aucune définition universelle et normative du bien-être, le besoin de passer par une enquête sur l’expérience vécue est donc apparu. L’intention était de faire ressortir la parole spontanée des Villeneuvois, la manière dont ils parlent de leur quartier et de la vie qui s’y déroule, ce qui impliquait de recueillir des expressions qualitatives, y compris d’ordre subjectif, sensoriel ou affectif.
Malgré l’image négative du quartier3 , les habitants expriment un attachement au lieu de vie, et la présence de la nature semble constituer un atout fondamental du quartier. Aucune question directe n’a été posée sur le marais ou les espaces verts qui entourent les bâtiments, mais chacun raconte spontanément son rapport à la nature à travers son expérience quotidienne et son parcours. Certains ont connu la construction des premiers immeubles et le creusement des bassins pluviaux (les lacs). Pour d’autres, le marais est un lieu de promenade, de pêche ou d’observation des oiseaux. La nature est partout à Villeneuve, et même si tous ne fréquentent pas les marais de manière régulière, les habitants expriment des sentiments positifs du fait de la proximité de la verdure et de l’eau (sentiments d’évasion et d’apaisement). Les marais sont aussi un lieu où se manifestent des incivilités fréquentes générant aussi parfois colère, désarroi et attentes de changements.
Les propos des habitants et la manière d’aborder les projets témoignaient d’une tendance à opposer une vision de la nature plutôt sauvage et sanctuarisée, à une forme de nature aménagée qui occulte le fonctionnement écosystémique du lieu. Dans la première catégorie, l’approche est défensive et cherche à limiter les impacts liés à la présence humaine, ce qui exclut d’éventuelles opportunités sociales d’épanouissement au contact de la nature. Dans la seconde, on cherche à maîtriser cette nature que l’on voudrait « rendre propre », ou mettre au service d’usages, ce qui exclut toute compréhension de la valeur écologique de l’espace.
L’ « ATOUT NATURE », SOURCE DE BIEN-ÊTRE ET DE SENS
Pour contourner ces difficultés, il a été proposé de réfléchir à l’atout nature comme un élément de fierté d’habiter le quartier, et un levier de transformation sociale au bénéfice de tous, habitants historiques et nouveaux arrivants. Ainsi, plutôt que de penser la nature uniquement sous l’angle des pressions écologiques liées aux multiples usages concurrents, la proposition centrale était d’imaginer un projet collectif qui chercherait comment le quartier pourrait vivre au rythme de la nature. Dans cet esprit, une proposition était d’imaginer les habitants comme des guides et gardiens du marais. L’intention était d’identifier des opportunités de vie au contact des marais, des initiatives et des pratiques sociales riches, tout en permettant de faire comprendre la valeur écologique du site qui impose un certain nombre de règles pour fonctionner. Le quartier regorge d’associations, acteurs et citoyens œuvrant dans le domaine de l’environnement ou participant à la vie locale au quotidien. Ils sont autant de ressources pour ancrer le projet à condition de leur accorder une place et un rôle. Certains habitants ont une connaissance fine de l’histoire des marais et proposent même des visites de type promenades contées.
Au cœur de l’espace naturel, un relais nature est un lieu ressource où les enfants de la ville peuvent participer à des animations sur l’environnement. Le pari est de passer de cette multitude d’initiatives atomisées, à une approche intégrée, soutenue par la collectivité dont le rôle est de créer les conditions favorables aux convergences et synergies. Le bien-être de tous les habitants du quartier, par l’intermédiaire de facteurs comme le sentiment de fierté et d’appartenance, les opportunités d’apprentissage de nouveaux savoirs, d’implication et de reconnaissance, constituent des éléments fédérateurs qui peuvent guider le sens des interventions simultanément urbaines, écologiques ou sociales.
LA SANTÉ, CLÉ DE LECTURE D’UN TERRITOIRE
Cette démarche expérimentale a montré l’intérêt de s’appuyer sur la santé et le bien-être comme clé de lecture d’un projet territorial complexe. Sur le plan scientifique, l’analyse repose sur des données issues de la littérature dans des domaines de la santé publique, de l’écologie urbaine ou encore de la sociologie, et souligne la pertinence d’explorer un projet écologique sous l’angle des enjeux sociaux. Au-delà de la restauration d’un espace naturel, elle suggère de trouver du sens à ce type d’opération en repensant la relation humain-nature dans sa réalité multidimensionnelle, réciproque et en perpétuel changement. Cette tentative de réconciliation des dimensions sociales et environnementales ouvre également des perspectives intéressantes en matière de transition écologique et sociale, en particulier pour les territoires les plus fragiles.
(1) Les indicateurs socio-démographiques montrent de nombreuses fragilités (bas revenus, faible niveau d’éducation, chômage, etc.) et des inégalités importantes par rapport au reste de la ville. (2) Cultures environnement arctique représentations climat. (3) Une image installée dans l’opinion générale des Rochelais et entretenue par des faits divers et des commentaires relayés par les médias.