La biodiv’thérapie, nouvelle panacée
Espaces naturels n°63 - juillet 2018
Biodiversité et santé sont intimement liées. Pour le meilleur et pour le pire pourrait-on dire. Mais quoi qu’il en soit, préserver la biodiversité, c’est contribuer au bien-être et à la santé humaine.
La biodiversité est en crise. Les mauvaises nouvelles s’accumulent en la matière. Les études scientifiques, les rapports des organisations internationales et non gouvernementales s’enchaînent : accélération de la conversion des forêts en zones agricoles ou en plantations commerciales, déclin général des espèces, augmentation du nombre d’espèces mises sur la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), intoxication de toute la biodiversité marine par les microparticules et les océans de plastique, etc. La diversité des races animales et des plantes domestiquées suit cette même tendance alarmante.
MOINS DE BIODIVERSITÉ, PLUS DE MALADIES
Mais, en quoi sommes nous tous concernés, et non seulement les professionnels et les citoyens engagés dans la préservation de la nature, des terroirs et des savoirs traditionnels ? En quoi cette crise de la diversité biologique a-t-elle des incidences sur notre santé et notre bien-être ?
D’abord, parce que parallèlement à cette crise de la diversité biologique, nous assistons à une augmentation des crises sanitaires. Elles se manifestent par un accroissement des maladies infectieuses d’origine zoonotique, c'est-à-dire ces infections dont les agents pathogènes sont issus des animaux sauvages et domestiques. À l’échelle du globe, le nombre d’épidémies de maladies zoonotiques par pays est corrélé au nombre d’espèces d’oiseaux et de mammifères en danger. Comment expliquer une telle corrélation ? À l’aide de la socio-écologie qui lie le métabolisme écologique et le métabolisme socio-économique. Les modes de consommation et d’usages énergétiques des sociétés contemporaines s’accompagnent d’une emprise grandissante sur les terres et d’une appropriation croissante de la productivité biologique, au profit des humains et surtout de leurs animaux d’élevage. La conséquence est une baisse générale de la diversité biologique et des services rendus par les écosystèmes en voie de simplification, comme les services de régulation des maladies (comme ceux de régulation des « pestes » agricoles). L’augmentation des épidémies de maladies infectieuses résulte donc de l’expansion de l’élevage intensif et des terres agricoles nécessaires à la nourriture de ces animaux, qui favorise des contacts grandissants avec une faune sauvage vivant sur des territoires de plus en plus réduits. Ajoutons à cela l’utilisation massive d’antibiotiques et de divers biocides qui sélectionnent les germes multi-résistants occasionnant des menaces grandissantes pour la santé humaine.
La crise de la biodiversité s’accompagne également d’une augmentation exponentielle des maladies auto-immunes comme l’asthme, l’eczéma, la maladie de Crohn et la sclérose en plaques. Une corrélation est ainsi observée entre l’index « Planète vivante » du Fonds mondial pour la nature (WWF), qui décroît régulièrement au cours des ans, et l’incidence de diverses maladies auto-immunes. Une étude conduite en Finlande permet de mieux comprendre les mécanismes écologiques et immunitaires à l’œuvre. Les auteurs ont comparé les taux d’atopie (rhinite allergique, asthme, eczéma) d’écoliers vivant dans des zones riches en biodiversité (caractérisées par des paysages variés) et dans des zones pauvres en biodiversité (paysage agricole monotone). Ils ont ensuite mesuré la diversité des microbes (le microbiote) présents sur la peau de ces écoliers ainsi que leurs réponses immunitaires, dont celles impliquées dans l’apparition de l’atopie. Les résultats sont clairs. Vivre dans des lieux à faible biodiversité s’accompagne d’une baisse de diversité du microbiote qui entraîne une dérégulation immunitaire et, finalement, l’apparition de symptômes atopiques. Le lien de causalité entre biodiversité paysagère et asthme est démontré. Il se fait au travers de la diversité de notre microbiote et de l’homéostasie de notre système immunitaire. Plus étonnante est la théorie des phytoncides, ces composés volatils produits par les forêts et les arbres. Selon des chercheurs japonais, l’immersion en forêt est une véritable thérapie (sylvothérapie), du fait d’une stimulation efficace du système immunitaire par ces composés. L’engouement des citadins japonais pour des « bains de forêts » sensés réduire le stress de la vie urbaine et du travail trouverait ainsi son explication physiologique.
LA NATURE, UN BESOIN VITAL
Le bien-être, la santé mentale et même la créativité sont améliorés par le contact avec la nature. La psychologie environnementale et la psychologie cognitiviste apportent des études fascinantes en la matière. Le contact avec la nature, dès le plus jeune âge, a des conséquences positives sur le développement cognitif. Une étude menée dans la ville de Barcelone sur le parcours des écoliers pour se rendre du logement familial à l’école montre qu’un passage quotidien dans une zone arborée est associée significativement à une augmentation des capacités d’attention (la mémoire de travail) des enfants, même si ceux-ci vivent en appartement. L’importance du contact avec la nature est aussi démontrée pour les personnes âgées dont le bienêtre physique et mental est amélioré par des promenades journalières dans les parcs urbains.
Le contact avec la nature est un stimulant pour la créativité. Paradoxalement, parce que ce contact réduit nos choix attentionnels. En ayant moins de sollicitations, notre système attentionnel fonctionne mieux pour se concentrer sur des choses et des pensées d'ordre supérieur. Dans l'environnement de travail ou citadin, nous sommes sollicités sans arrêt par d’innombrables messages, par les réseaux sociaux, par des tâches diverses, par le bruit. Notre cerveau doit exercer un filtrage important de toutes ces informations reçues.
Outre la fatigue ressentie, il devient surtout difficile de penser en profondeur. Par le contact avec la nature, les exigences de filtrage sont moins fortes et nous retrouvons la capacité de nous concentrer pour une réflexion approfondie.
Finissons par une anecdote, en forme de conte de philosophie environnementale. Le nombre de personnes souffrant d'acouphènes est en pleine explosion. Il semble que cela touche essentiellement des personnes vivant en ville, dans des endroits où on n’entend plus de sons de la nature mais uniquement du bruit. La principale préoccupation des urbains est de s’isoler du bruit. Mais, en s’isolant on commence à entendre ses propres bruits et surtout ces sifflements dans les oreilles, les acouphènes. Il n’y a pas encore d’étude scientifique qui se soit penchée sur un lien potentiel entre la perte de contact aux sons naturels et l’épidémie d’acouphènes. Mais on peut lire sur des blogs de personnes souffrant d’acouphènes que certaines d’entre elles ont pu retrouver le sommeil grâce au chant des grillons. Une plateforme de musique en ligne propose un album « sons de la nature et des grillons pour les acouphènes »1 .
Les espaces naturels sont des lieux essentiels de préservation de la biodiversité ainsi que des savoirs et pratiques traditionnels. Ces espaces vivants se découvrent une autre vocation en contribuant au bien-être et à la santé de tous les citoyens.
(1) apple.co/2IJGW3W