On a le droit de choisir ce que l'on veut manger

 

Espaces naturels n°63 - juillet 2018

Autrement dit

Chef cuisinier dans un restaurant parisien renommé et chroniqueur radio, François Pasteau milite pour une cuisine responsable. Au quotidien, dans son restaurant, et sa pratique de cuisinier... Mais aussi via des associations pour préserver la biodiversité marine.

François Pasteau, Chef cuisinier, l’Épi Dupin

François Pasteau, Chef cuisinier, l’Épi Dupin

Vous avez toujours milité pour une cuisine responsable. D’où vient cet engagement ?

Je suis né dans les années 1960, je suis Parisien, mais j’ai eu la chance de grandir avec des parents qui m’ont inculqué des valeurs. On finit son assiette, on prépare les plats du lendemain avec les restes de la veille, dans le respect du produit, on ne gaspille pas, on fait attention à tout. J’ai eu une bonne alimentation. Quand j’ai commencé dans ce métier, j’ai croisé des chefs qui avaient cette même vision des choses, comme Henri Faugeron, Joël Robuchon, etc., faisant toujours grand cas de la qualité et de la saisonnalité des produits. Ainsi, quand je me suis installé1 , j’ai voulu revendiquer le terroir francilien, alors méconnu. Mon message était qu’en ouvrant les yeux, on trouvait, autour de Paris, des producteurs, des éleveurs qui faisaient très bien leur métier. Il suffisait alors d’attendre les saisons, de travailler avec des produits locaux, cueillis le matin. Une démarche doublement vertueuse, car elle permet de gagner en fraîcheur des produits et de faire marcher l’économie locale. Parfois, on paie un peu plus cher, mais au final, la qualité des produits est telle qu’on peut optimiser leur utilisation. On peut alors faire une cuisine respectueuse de l’environnement, des produits, des producteurs, etc.

 

Vous avez lancé l’association Bon pour le climat et êtes président de l’ONG Ethic Ocean. Quelles sont les missions de ces associations ?

Je suis en effet co-fondateur, avec Jean-Luc Fessard, de l’association Bon pour le climat, qui propose des actions concrètes pour changer nos pratiques alimentaires afin de préserver la planète et son climat. Elle met ainsi à disposition des chefs cuisiniers un éco-calculateur qui permet de calculer le poids carbone de leurs plats, l’ajuster si nécessaire et le valoriser auprès de leurs clients. C’est une belle association, j’ai terminé mon mandat de président mais je suis toujours leurs actions avec attention. L’aventure Ethic Ocean (ex SeaWeb Europe), quant à elle, a commencé il y a une douzaine d’années. On parlait alors beaucoup du Thon rouge, menacé de disparition du fait de la surpêche. Je me posais beaucoup de questions sur les autres espèces de poisson. Élisabeth Vallet, directrice de l’association, m’a aidé à avancer sur le sujet, et nous éditons, depuis 2012, un guide des espèces, révisé chaque année, qui vise à orienter les professionnels en quête d’un approvisionnement durable en produits de la mer. Nous organisons parallèlement un concours culinaire annuel, à l’attention des jeunes chefs cuisiniers, le concours Olivier Roellinger. En partenariat avec le lycée hôtelier de Dinard et l’association Relais et Châteaux, ce prix invite les jeunes chefs à préparer deux plats à base de produits de la mer (un plat gastronomique, un plat grand public), et à défendre leur choix de poisson. Ce concours a pour objet de contribuer à la préservation des ressources halieutiques, il me tient beaucoup à cœur.

Quelles sont les clés d’une cuisine plus respectueuse de l’environnement  ? Cuisinier et respecter l’environnement, est-ce un luxe ?

Une cuisine qui respecte l'environnement, c'est avant tout une cuisine plaisir. Il faut de bons produits, forcément de saison, le plus possible de proximité afin de réduire leur empreinte carbone transport, favoriser les végétaux par rapport aux protéines animales – je ne dis pas qu’il faut cuisiner végétarien, mais moins de viande, avec uniquement des viandes de très bonne qualité. Payer tous ses produits au juste prix, autrement dit, au prix que le producteur affiche, qui est le prix qui lui permettra de vivre dignement de son métier. On a tous un rôle à jouer en cela, particuliers comme restaurateurs, pour qu’on puisse avoir encore de bons produits pour notre bien-être comme pour la planète.

Cuisiner tout en respectant l’environnement n’est pas une question de moyens, c’est une question d’éducation. Ce sont les parents qui doivent apprendre à leurs enfants à faire la cuisine, choisir les bons produits, ne pas gaspiller, prendre le temps de cuisiner, etc. Certes cela ne se fait pas dans tous les milieux. Mais on peut s’alimenter convenablement sans forcément dépenser plus, car les produits de qualité peuvent être utilisés davantage. Par exemple, avec des carottes biologiques de qualité, on peut utiliser les fanes, les épluchures, valoriser l’ensemble du produit. Au final, on ne jette rien, c’est bon signe.

 

En septembre 2016 vous avez signé la lettre ouverte contre l’invasion de l’agrochimie en France, suite au rachat de Monsanto par Bayer, pourquoi ?

Je défends l’idée qu’on a le droit de choisir ce qu’on veut manger. Dans ce sens, il faut éviter qu’on nous impose notre façon de manger, et donc éviter que des groupes déjà énormes ne fusionnent et nous imposent leur façon de voir les choses. À l’inverse, je pense qu’il faut soutenir et protéger les petits producteurs, la biodiversité, les semences paysannes. La biodiversité offre du bien-être et peut nous permettre de nous alimenter de façon saine, durable, avec une immense diversité de produits. Or si de grands groupes, tels Bayer et Monsanto s’accaparent le marché des semences, nous n’aurons plus le choix.

 

(1) En créant l’Épi Dupin en 1995 (NDLR).