État de conservation, où va-t-on ?

 

Espaces naturels n°40 - octobre 2012

Le Dossier

Bernard Pont
RNF

 

La commission scientifique de Réserves naturelles de France s’est penchée sur la thématique de l’évaluation de l’état de conservation. Concluant que le protocole méritait d’être appliqué à d’autres espaces que Natura 2000, elle a également ouvert un certain nombre de perspectives.

La thématique de l’évaluation de l’état de conservation a fait son entrée en scène dans le monde des gestionnaires d’espaces naturels par la directive Habitats. Cependant, la commission scientifique de Réserves naturelles de France conclut que cette approche Natura 2000 mérite d’être complétée. En effet, un gestionnaire de réserve doit s’intéresser à tous les habitats existants dans l’aire protégée, certains pouvant avoir une forte valeur patrimoniale sans pour autant être visés par la directive.
Il conviendra alors de prendre en compte que les documents de planification d’une réserve et ceux d’un site Natura 2000 sont par essence différents.
Le plan de gestion d’une réserve naturelle s’articule autour d’une arborescence déclinant en priorité les enjeux, puis les objectifs à long terme, les objectifs du plan, pour finir par la dimension opérationnelle.
A contrario, le document d’objectifs Natura 2000 se focalise sur cette partie opérationnelle. Ses objectifs à long terme sont prédéfinis par les habitats et espèces des annexes des directives.

Cette distinction est à l’origine d’une méthode prenant différemment en compte les enjeux socio-économiques. Alors que dans un plan de gestion de réserve naturelle, les objectifs à long terme sont indépendants de ces enjeux (ils sont intégrés dans les objectifs opérationnels à atteindre dans la durée du plan), tel n’est pas le cas du document d’objectifs. Dans un Docob, la nécessaire appropriation des buts visés et des méthodes par les acteurs locaux implique d’adapter des seuils de qualification de l’état et de simplifier les protocoles.
L’approche Natura 2000 favorise une vision statique et partielle en lien avec les habitats d’importance communautaire et ne facilite pas une approche dynamique intégrant la fonctionnalité d’ensemble.
Le réseau RNF travaille à l’évaluation de l’état de conservation des habitats depuis plusieurs années dans le cadre de la méthodologie pour mettre en place les plans de gestion des réserves naturelles. Ce travail a permis de préciser certains éléments importants qui, comme l’expliquent les lignes qui suivent, sont liés notamment au cadre méthodologique, à la collecte des données, à la restitution des résultats, mais également aux seuils de référence et à l’échelle d’évaluation.

Cadre méthodologique. Une cartographie fiable (typologie validée) des habitats constitue un préalable indispensable à l’évaluation : elle permet de construire un plan d’échantillonnage pertinent. Que l’évaluation soit conduite dans le cadre de Natura 2000 ou de celui d’un plan de gestion d’une réserve naturelle (RN), des éléments méthodologiques sont communs. Trois familles de paramètres sont à évaluer : composition (typicité du cortège floristique ou faunistique, etc.), structure (richesse, équirépartition, répartition des classes de taille, etc.) et processus (degré d’humidité, richesse trophique, quantité de bois mort, etc.).
Pour chaque famille de paramètres, il est nécessaire de définir l’échelle de pertinence (polygone(1), ensemble d’un habitat dans une RN, ensemble d’un site), les critères et indicateurs retenus, les seuils des différents états et la méthode de notation.

Collecte des données. Le réseau RNF estime essentiel que les données servant de base à l’évaluation soient ré-interprétables à l’avenir pour tenir compte des avancées scientifiques en la matière et d’éventuels ajustements des seuils d’état. De ce fait, il doit s’agir de données brutes et complètes, collectées dans le cadre de protocoles communs de suivi à long terme des habitats. Depuis près de vingt ans, RNF développe de tels protocoles qui fournissent une part souvent importante des informations nécessaires pour les habitats concernés (protocoles de suivi de la dynamique des forêts alluviales, de suivi dendrométrique des réserves forestières, de suivi des milieux ouverts par les rhopalocères, etc.).
D’autres protocoles communs sont en cours d’élaboration ou de finalisation. Ils viendront compléter la boîte à outils.

Nature des données nécessaires. Si la végétation est un élément essentiel de caractérisation d’un habitat et de son état, il paraît important aux gestionnaires de RN de ne pas se limiter à des données floristiques, la faune apportant des informations complémentaires. Deux outils basés sur la comparaison entre un peuplement faunistique attendu et le peuplement observé sont disponibles (syrphes, rhopalocères) et d’autres sont en cours de finalisation (odonates).
Une évaluation de certains processus à l’échelle du site apparaît nécessaire : flux d’eau et de matières pour les zones humides, connexions biologiques.

Restitution des résultats. Le qualificatif d’état est essentiel dans le cadre d’un reporting pour rendre compte d’une politique nationale. Cependant, au niveau de la gestion d’un site, il est beaucoup plus intéressant de pouvoir lire les valeurs des différents indicateurs retenus pour caractériser l’état. Ainsi, une présentation par graphique « radar » conservant l’information de chaque indicateur permet de voir directement les facteurs déclassant, de suivre leur évolution dans le temps et de comparer des sites entre eux.

Seuils et références. L’évaluation ne peut se faire que par rapport à une référence. Des seuils définissant les différents états (écart à la référence) sont donc nécessaires. Cette question est particulièrement délicate car elle conditionne la qualité de l’évaluation. Pour RNF, la référence est définie par l’objectif à long terme relatif à un habitat, ou le plus souvent à un éco-complexe d’habitats, sur la base d’un diagnostic et d’une bibliographie solides. L’état de naturalité doit être la référence à privilégier chaque fois que cela est possible. Ainsi cette référence devrait être retenue pour tous les habitats où l’action du gestionnaire humain reste en second plan face aux facteurs naturels (la plupart des boisements, cours d’eau, milieux rocheux, littoraux ou ouverts d’altitude, etc.). Ceci n’implique pas que seul l’état de naturalité maximale corresponde au bon état. En effet, compte tenu de l’ancienneté de l’action humaine sur la plupart des écosystèmes, une telle approche conduirait à classer tous les habitats en état dégradé.
Il apparaît néanmoins essentiel dans une réserve naturelle de pouvoir évaluer l’écart entre l’état actuel et une référence à haute naturalité­­­, l’objectif idéal à long terme étant alors de tendre vers cette naturalité.
Dans cette perspective, il semble indispensable de prévoir deux niveaux de bon état : le bon état (où l’intégrité des processus garantissant le fonctionnement de l’écosystème est acquise) et l’état optimal (où les attributs de naturalité sont effectifs). Pour les habitats de transition et secondaires entretenus par les gestionnaires humains, il est essentiel que la formulation des objectifs explicite l’état attendu et les seuils de qualification.

Échelle d’évaluation. Les écosystèmes sont caractérisés par des processus dynamiques (perturbations, successions végétales, etc.) et les habitats ne sont qu’une classification aidant le scientifique et le gestionnaire à décrire la nature. Comment alors conduire l’évaluation des parties d’habitats naturellement perturbés ou en transition ? Le cas est particulièrement criant dans les éco-complexes alluviaux où la plupart de stades successionnels sont d’intérêt communautaire : végétation annuelle des grèves, saulaie arbustive, formation arborée de bois tendre, puis de bois dur. L’évaluation individuelle de chacun de ces stades est possible, mais l’approche fonctionnelle nécessite de considérer l’ensemble : une saulaie blanche ne peut être en bon état si ses stades de régénération, qui sont constitués par les habitats pionniers de grèves, ne sont pas présents. De même, une mégaphorbiaie peut être vue comme une prairie humide dégradée, une aulnaie détruite ou un habitat en bon état ! Les unités de régénération (boulaies, pinèdes, etc.) des habitats forestiers matures (hêtraies…) sont dans le même cas.
Cette question est encore loin d’être tranchée, mais il paraît indispensable de dépasser le stade de l’évaluation séparée de chaque habitat pour avoir une approche à l’échelle de la série de végétation.

Perspectives. L’objectif de RNF est de proposer un cadre méthodologique adapté aux réserves naturelles (structure du document de planification, niveau d’exigence de conservation, protocole de suivi à long terme) tout en veillant à la compatibilité avec le cadre d’évaluation Natura 2000 de manière à contribuer au reporting national et international. •

1. Unité homogène en termes d'habitat