Au risque de se perdre

 

Espaces naturels n°36 - octobre 2011

Édito

Jean-Marie Petit
Directeur de Parcs nationaux de France

En France, comme partout dans le monde, la forêt est reconnue comme un indicateur, même sommaire, de l’état de santé de la planète. La forêt représente également un enjeu économique, à la fois comme ressource industrielle et source d’énergie renouvelable.
Faut-il privilégier l’un, l’autre ? Entre préservation et production, le dossier d’Espaces naturels fait écho des débats qui traversent la société et les professionnels de la nature. Débats scientifiques et techniques sur l’évolution de la forêt, sur sa résilience face aux changements globaux et sa contribution à la conservation de la biodiversité…
Il serait injuste de s’arrêter là.
Indépendamment de sa capacité d’accueil et de son rôle écosystémique, la forêt occupe une place très particulière dans la conscience collective des civilisations d’hier et d’aujourd’hui. Tandis que tout se mondialise et s’accélère, la forêt continue de s’afficher dans la durée, en raison du temps qu’il faut à l’arbre pour grandir, dépassant souvent l’Homme en longévité.
La forêt imprègne nos consciences dès l’enfance avec les contes, monde merveilleux et parfois terrifiant, à la fois réel et imaginaire, dans lequel chacun perd ses repères avec plaisir et frisson.
Robert Harrison va même plus loin1 : « L’Occident a défriché son espace au cœur des forêts, et fondé contre elles ses institutions dominantes - la religion, le droit, la famille, la cité. De part et d’autre de leur ténébreuse lisière, tenus à distance, deux espaces s’épient, se menacent, s’interrogent. Forêts, monde écarté, opaque, qui dépayse, enchante, terrifie, remet en question la cité. »
La forêt est un monde sacré et vivant à l’encontre duquel l’Homme a poussé son avantage au fil des siècles au risque d’en perdre les bienfaits.
En marge des débats actuels, on peut trouver dans la forêt des fondements de nos identités. Comme les montagnes, les forêts n’ont-elles pas un nom propre, associé aux noms des villages ou des villes ou à leurs caractères propres, désignant des êtres vivants et des sociétés animées ? Refuges pour le hors-la-loi et le redresseur de torts, espace enchanté et de fantasmes où chacun pourra, au moins mentalement se perdre, chose devenue si rare, la forêt est un bien très précieux pour l’humanité.

1. Forêts, essai sur l’imaginaire occidental, Flammarion, 1992.