Gérer la fréquentation, un acte technique ?

 

Espaces naturels n°4 - octobre 2003

Le Dossier

Jean-Marie Petit
Aten

 

Reculez les limites, pensez global, changez d’échelle ! La gestion d’un site fréquenté nécessite de prendre du recul et de considérer l’ensemble du territoire.

A quoi pourrait ressembler un site naturel fréquenté (surfréquenté) qui ne soit pas dénaturé ? Difficile à dire. L’idéal voudrait que le paysage ne soit pas défiguré par l’encombrement : que la multiplication des cheminements, de la signalétique, de la publicité, ne prenne pas le pas sur la découverte du patrimoine. Par ailleurs, il faudrait en finir avec les chemins creusés, les espèces animales sensibles victimes du dérangement, les espèces végétales qui battent en retraite. En finir aussi avec les équipements d’accueil et d’assainissement insuffisants. Et puis, il s’agirait que les fermiers aient accès à leurs pâturages, que les ressources locales augmentent en contrepartie de la gêne occasionnée, que les habitants puissent exercer librement leurs activités… Alors, la renommée du site ne risquerait plus d’être durablement altérée et, sûrement, les enquêtes montreraient la satisfaction de tous.
Voilà pour la théorie. Dans la pratique, et sans attendre que la détérioration du patrimoine ait un impact significatif sur la fréquentation, les responsables des sites à forte valeur naturelle et culturelle réagissent.
Changer d’échelle
La première intervention consiste à changer d’échelle, modifiant ainsi le regard sur le territoire : le site de Saint-Guilhem-le-Désert, par exemple, était circonscrit au seul sanctuaire, il est maintenant inséré dans les gorges et la basse vallée de l’Hérault avec quatre autres villages. C’est le cas aussi du site des Tombes à couloirs de New Grange, en Irlande, qui inclut aujourd’hui l’ensemble de la vallée de la Boyne, ou encore de l’Alhambra de Grenade qui comprend la citadelle, les palais et les jardins. Quant à la pointe du Raz, elle a reculé son emprise foncière de plusieurs kilomètres…
Il devient alors possible de déployer les aménagements : de différencier les accès, de déplacer les centres d’intérêt, de reculer l’implantation des structures d’accueil, donc de « décharger » le site. Plus ouverte, cette approche peut également justifier la fermeture d’un secteur du site, comme l’ont pratiqué les Anglais à Stonehenge.
Une autre vertu, non négligeable : le changement d’échelle autorise de recréer le lien entre le cœur du site et son environnement naturel. Les paysages, matériaux, cheminements… sont pris en compte et permettent de s’imprégner de l’esprit d’un lieu.
Ainsi, toujours à Stonehenge, le site est actuellement resserré autour du monument. Le parking et son souterrain d’accès jouxtent les mégalithes, tandis qu’une route très fréquentée cerne le versant d’accès. Sur le flanc opposé, la pression ne se desserre pas et une autre artère à quatre voies draine la circulation.
Pourtant, les fameux cercles de pierres dressées de Stonehenge sont perceptibles à dix kilomètres et la voie « sacrée » qu’ont suivie les pèlerins est visible de loin.
Le « National disgrace », comme le nomme le Parlement, devrait bientôt être restauré. Le choix de cette restauration patrimoniale implique la fermeture de la route, l’enterrement de l’autoroute dans tout le secteur, ainsi que le recul des parkings et du centre d’accueil au-delà des zones visibles du monument.
Ainsi par le biais d’un changement d’échelle, les visiteurs s’approcheront lentement de Stonehenge. Posant leurs pas dans celui des pèlerins, ils suivront la « voie sacrée ».
Ils pénétreront l’environnement au rythme de leurs sens et du même coup, ils concevront les motivations et ressentis des voyageurs d’hier. Ils comprendront le site.
Les professionnels d’espaces naturels et de sites pourraient très bien se nourrir de l’exemple. Certes, leurs compétences, en matière de techniques d’aménagement et de maîtrise foncière, doivent être mises à disposition des décideurs, des élus et des propriétaires, mais, tout comme l’art de la concertation, les techniques n’ont de sens que replacées dans leur environnement naturel et culturel. Afin, au bout du compte, que les acteurs locaux et les visiteurs « caressent » l’esprit des lieux.