Forêt à tout faire à trop faire, à mieux faire

 

Espaces naturels n°36 - octobre 2011

Le Dossier

Paul Arnould
École normale supérieure de Lyon - Professeur des universités.

 

La forêt produit du bois mais tellement d’autres services. Faut-il spécialiser les forêts pour répondre à des besoins spécifiques ?

La forêt est pourvoyeuse de biens et de services multiples. Est-ce pour autant un espace à tout faire ?  Autrement dit, faut-il vraiment cumuler les diverses demandes et besoins sur un même territoire en le qualifiant de multifonctionnel ? Multifonctionnel. Sous l’Ancien régime, le même territoire forestier servait effectivement à tout : source d’énergie pour le bois de feu, capable de donner de belles grumes pour construire, matériau de base pour la cuisson, servant à fabriquer du verre ou de la fonte. La forêt était aussi le lieu des cueillettes de mûres, de framboises, de myrtilles, de champignons… mais surtout de glands et de faînes pour nourrir les porcs. L’herbe des sous-bois et les feuilles tendres ravitaillaient les vaches, les moutons, les chèvres et les chevaux. La forêt était une agroforêt au cœur d’un système parfois qualifié d’agrosylvopastoral. Depuis le 19e siècle et l’avènement progressif du tourisme de masse, elle accède au statut d’espace de loisirs où l’on peut se promener, déambuler à pied, à cheval et désormais en VTT, en quad, en moto « verte », où l’on peut jouer à Tarzan dans les houppiers équipés pour les accrobranchés… Qualifiée improprement par certains de poumon vert, elle symbolise une qualité de l’air incomparablement plus pure que dans les villes. La forêt est aussi un formidable filtre capable de fournir naturellement une eau de qualité, de remplacer les coûteuses stations d’épuration. De grandes villes comme New York, Munich, Vienne, y ont installé les champs captants d’une eau de haute qualité. En plus de toutes ces aménités, c’est-à-dire de biens contribuant au mieux-être, la forêt est aussi une formidable machine à abriter des rêves, des mythes, des symboles mais aussi des peurs matérialisées par des contes comme ceux du Petit Poucet et du Chaperon rouge. Elle est tout à la fois un espace sacré et un territoire profane et trop souvent profané. L’arbre et la forêt, dans une société de consommation, sont même devenus des pourvoyeurs de belles images pour faire de la pub, pour tout vendre : des voitures, des produits de beauté, du transport aérien… Cumul. La forêt est donc un lieu multifonctionnel. Reste alors à savoir s’il ne faudrait pas envisager une spécialisation des territoires pour satisfaire les trois « pros » : production, protection (des sols des eaux, de l’air et de la biodiversité) ; promenade (paysages et l’imagination). Quelle est la solution, pour « mieux faire » avec la forêt ? Une séparation des territoires ? Ou bien peut-on inventer, par le biais du dialogue, du respect et de la connaissance, des usages négociés et respectés ? Par le biais d’une bonne gouvernance, tous les hommes de bonne volonté seraient-ils capables de comprendre et d’arbitrer ces visions et pratiques contradictoires ? La question mérite d’être posée.