Professionnels de la nature, ce qui a changé

 
Enquête sur l’évolution des métiers

Espaces naturels n°24 - octobre 2008

Le Dossier

Isabelle Mauz
Cemagref Grenoble - UR DTM
Céline Granjou
Cemagref Grenoble - UR DTM
 

Etudier l’évolution des métiers des espaces naturels soulève une difficulté première liée à la très grande hétérogénéité des cas. Hétérogénéité des types d’espaces naturels tout d’abord, mais également hétérogénéité des métiers. Les professionnels travaillent dans des structures qui n’ont ni la même taille, ni le même statut, ni la même histoire, ni la même culture. De l’ONF à l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema) en passant par les directions régionales de l’environnement (Diren), les parcs ou encore le Conservatoire du littoral, toutes ont des façons très différentes de travailler avec leurs partenaires. Par ailleurs, elles se trouvent à des stades distincts de leur évolution. Plusieurs d’entre elles sont en pleine mutation, avec des incertitudes et des interrogations fortes sur l’avenir de leurs missions et leur organisation. Ainsi, les perspectives de rapprochement entre l’Office national de la chasse et de la faune sauvage et l’Onema et de fusion entre les Drire (directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement), les DRE (direction régionale de l’équipement) et les Diren préoccupent (et occupent) les enquêtés et les incitent à évoquer les évolutions futures des métiers.
La très grande hétérogénéité des métiers exercés au sein de ces structures est également un élément fort : métiers d’animation de territoire, de communication, de direction, de gestion de données, d’accueil, de garderie, d’expertise juridique, d’éducation à l’environnement, etc. Tous ces métiers renvoient à des compétences et à des statuts différents ; certains d’entre eux sont apparus en même temps que les espaces naturels, d’autres beaucoup plus récemment. Ainsi, parmi les interlocuteurs de l’enquête figurent aussi bien une secrétaire-hôtesse qui travaille depuis trente ans dans le même secteur d’un parc national, qu’un spécialiste des bases de données naturalistes récemment recruté au siège parisien d’un grand établissement, que des ingénieurs agronomes ou du génie rural des eaux et des forêts qui sont passés par plusieurs types d’espaces naturels.

Ce qu’ils en pensent. Invités à parler de l’évolution des métiers dans les espaces naturels en général ou dans un espace naturel particulier, les enquêtés ont parfois du mal à se prononcer. Soit parce qu’ils viennent d’entrer dans les espaces naturels ou qu’ils n’y ont fait qu’un passage, soit parce qu’ils ont travaillé dans plusieurs structures et trouvent difficile de démêler ce qui, dans les changements observés, tient à l’évolution des métiers ou aux différences entre ces structures. C’est pourquoi l’enquête s’attache aussi à retracer leur parcours professionnel : cette mise en récit a très souvent enrichi leurs propos sur l’évolution des métiers, les enquêtés pouvant préciser comment cette évolution s’est concrètement manifestée pour eux et quelles décisions elle les a amenés à prendre.
Un tel matériau, on le voit, ne renseigne pas directement sur l’évolution des métiers mais sur ce qu’en pensent celles et ceux qui les exercent, les enquêtés profitant de l’entretien pour désigner et parfois qualifier les changements qu’ils ont notés. Ils mettent ainsi en avant un certain nombre d’événements qui ont eu des répercussions sur leur carrière. Parmi les événements souvent cités, figurent les modifications apportées à l’organisation des corps (1965 : fusion des corps du génie rural et des eaux et forêts, 2001 : création des corps des agents techniques et des techniciens de l’environnement, 2008 : fusion des corps du Gref et des Ponts et Chaussées…). Ils évoquent également des changements relatifs au statut des personnels et à l’entrée en vigueur de nouvelles lois et directives (1960 : loi sur les parcs nationaux, 1976 : loi sur la protection de la nature, 1985 : loi Montagne, 1986 : loi Littoral, 1992 : directive Habitats, 2006 : nouvelle loi sur les parcs nationaux…). De même, les interviewés parlent de la création d’institutions chargées de gérer et de protéger les espaces naturels ou des changements majeurs survenus dans ces institutions (1965 : création de l’ONF, 1971 : création du ministère de l’environnement, 1975 : création du Conservatoire du littoral, 1977 : retour de l’ONC « dans le giron de l’État »…).

Ils désignent par ailleurs des évolutions dont certaines occupent une place importante dans leur discours. Plusieurs d’entre elles apparaissent plutôt positives. C’est notamment le cas de la montée du travail en réseau entre les espaces naturels, de la reconnaissance croissante, par la société, de l’utilité de ces métiers ou encore de la revalorisation des salaires dans plusieurs structures. D’autres évolutions sont au contraire plutôt déplorées ou critiquées. Ainsi, des enquêtés regrettent la complexification des tâches administratives qui se traduit par une lourdeur, une réduction de l’autonomie des individus et une diminution du temps consacré au terrain. La contraction des effectifs des agents de terrain dans certaines structures qui dépendent de l’État et la marchandisation des capacités d’expertise sont également dénoncées, au motif qu’elles nuiraient à la mission de service public des espaces naturels. Certaines évolutions apparaissent pour leur part très ambivalentes, y compris pour une même personne. Par exemple, le mouvement de spécialisation des tâches apparaît à la fois porteur d’avantages, du fait d’une professionnalisation accrue, et d’inconvénients, en raison d’une plus grande difficulté à avoir une vue d’ensemble et à coordonner les actions. Tandis que la création d’un corps des agents techniques et des techniciens de l’environnement est reconnue avoir apporté plus de brassage et la possibilité de tirer parti de compétences complémentaires, des enquêtés soulignent que les cultures des agents ne sont pas toujours en adéquation avec les postes et que la mise en place d’un recrutement national a ouvert ces postes à des personnes surdiplômées et introduit plus de hasard là où le choix prédominait. Les mesures de réduction du temps de travail font, elles aussi, l’objet d’appréciations contrastées : le progrès qu’elles constituent pour les salariés est apprécié mais certains constatent qu’elles ont compliqué l’organisation des tâches et qu’elles marquent une rupture avec une façon de s’engager dans des métiers qui étaient considérés davantage comme un mode de vie ou un sacerdoce que comme un travail. On peut aussi citer la diffusion d’une culture du résultat, l’importance prise par les techniques de gestion des milieux naturels et la montée en puissance des procédures « participatives ».
Au-delà des évolutions des métiers, l’enquête éclaire les trajectoires des professionnels de la nature. Elle renseigne notamment sur les modalités et les motivations de l’entrée dans les espaces naturels, les critères d’appréciation des postes utilisés par les enquêtés, les modèles de carrière et les difficultés auxquelles peuvent être confrontées les personnes qui optent pour ce type de carrières. Elle permettra en définitive de s’interroger sur ce qui peut constituer l’unité des métiers des espaces naturels, au-delà de la diversité des statuts et des compétences de ceux qui les exercent.