Caractère des territoires

 

Espaces naturels n°24 - octobre 2008

Des mots pour le dire

Isabelle Mauz
Sociologue à l’unité de recherche Développement des territoires montagnards du Cemagref de Grenoble. 

Derrière les mots se cachent des subtilités qui sous-tendent des enjeux de gestion, politique ou sociaux. Isabelle Mauz réfléchit ici à la notion de caractère1, pointant la difficulté de distinguer ses aspects objectifs et subjectifs.

Le Petit Robert indique trois sens principaux du terme caractère. • Une marque, un signe distinctif, tel le caractère d’imprimerie par exemple. • Un signe ou un ensemble de signes distinctifs : le trait propre à une personne ou à une chose qui permet de la distinguer d’une autre. • L’ensemble des manières habituelles de sentir ou de réagir qui distinguent un individu ou un groupe d’individus d’un autre tel le caractère d’une nation, qui se rapproche sans doute le plus de ce que l’on entend par caractère d’un territoire avec un renvoi aux mots « âme » et « génie ».
En dépit de la polysémie du terme, on retrouve l’idée de distinction : le caractère est ce qui permet de reconnaître la personne, la chose ou la nation dont on parle et de la distinguer de toutes les autres, des aspects très concrets (le caractère d’imprimerie) aux aspects nettement plus abstraits (l’ensemble des manières habituelles de sentir et de réagir).
Appliqué aux territoires, le caractère apparaît comme l’ensemble des traits qui permettent de les distinguer les uns des autres. Le caractère d’un territoire varie en fonction des personnes qui le caractérisent, d’une part parce qu’il ne se comporte pas avec tous de la même façon, et parce que les gens ont des références multiples : un naturaliste le comparera peut-être à ses territoires d’étude favoris, un professionnel du tourisme à des stations de sports d’hiver ou balnéaires, un chasseur à des territoires de chasse, un gestionnaire d’espace protégé à d’autres espaces protégés et à des espaces voisins non protégés, un habitant au reste de la vallée ou de la région, un touriste aux endroits qu’il a précédemment visités, etc. Le caractère d’un territoire est par ailleurs voué à évoluer, parce que les êtres qui le composent changent et le transforment, et parce que ce dont on veut le distinguer change aussi. Les portraits brossés par les différents témoins peuvent être assez diversifiés voire contrastés, et même contradictoires. Pour ces diverses raisons, on ne peut donc pas décrire le caractère d’un territoire une fois pour toutes et on ne peut pas non plus confier à une seule catégorie de personne le soin de le caractériser. Définir le caractère d’un territoire nécessite alors de faire des choix, en se laissant la possibilité de les réviser par la suite.
Quelle part d’objectivité et de subjectivité dans cette définition ? Si l’on entend par subjectif : « qui varie selon les personnes », tous les aspects du caractère sont nécessairement subjectifs. S’il s’agit de quelque chose qui dépend moins de la raison que des sentiments et des émotions, chaque témoin, quelle que soit sa « spécialité » par ailleurs, a la même légitimité à s’exprimer sur ce registre. Inversement, la désignation « objective » des éléments du caractère n’est pas réservée à une catégorie particulière.

1. Extrait et adapté d’une communication au conseil scientifique des parcs nationaux de France - 7 décembre 2007.