Perceptions

La protection de la nature a une histoire, partageons-la !

 
Le Dossier

Ferment de l’engagement citoyen, l’histoire de la protection de la nature doit être mieux appropriée, recherchée et diffusée. Henri Jaffeux, président de l’Association pour l’histoire de la protection de la nature et de l’environnement (AHPNE), plaide pour la sortir de l’oubli.

Sous le titre Les Français et la nature, pourquoi si peu d’amour ? Valérie Chansigaud, historienne de l’environnement, dresse un constat sans concession d’une situation qu’elle présente comme une exception française : nous autres Français, à la différence des pays anglo-saxons, avons un problème avec la nature, sa connaissance et sa protection. Elle appuie sa démonstration sur de nombreux exemples qui tendent à témoigner, historiquement, d’un moindre engagement des Français envers cette cause et d’un décalage de réalisations dans le temps. Son diagnostic interroge l’engagement citoyen et pointe les liens qui seraient à tisser entre les citoyens et les mondes associatif, scientifique et professionnel de la protection de

la nature et de l’environnement pour faire naître et construire des synergies.Il est un domaine auquel on ne pense pas de prime abord, qui peut permettre à ces trois mondes de développer et mutualiser des coopérations et d’intéresser les citoyens, et de les faire s’engager : l’histoire de la protection de la nature. Cette histoire s’étale sur un bon siècle et demi mais elle est plus prégnante, plus dense, depuis l’après Seconde Guerre mondiale. Elle concerne principalement les trois dernières générations. Ce n’est donc pas si lointain ! Mais force est de constater que le temps qui passe a commencé son œuvre d’effacement avec la disparition de ses initiateurs, acteurs ou témoins et aussi avec le retrait de la vie professionnelle et militante de ceux qui leur ont succédé. Ces derniers emportent avec eux des connaissances, une expérience et de précieux témoignages, tout en laissant derrière eux des archives qui ne demandent qu’à être exploitées et valorisées. Cet effacement est aussi dû à d’autres causes, comme la succession rapide des politiques publiques, la dernière en vigueur faisant vite oublier les précédentes. Enfin, cela a été souligné en introduction de cet article, le relatif désintérêt des Français pour la nature ne facilite pas, d’abord l’acquisition d’une culture partagée de la nature, ensuite sa transmission intergénérationnelle.

S’approprier l’histoire, une nécessité

L’accélération du temps auquel tout un chacun est malheureusement soumis et la rotation rapide de l’emploi dans les structures porteuses de cette histoire ccasionnent aussi, plus vite qu’autrefois, une perte de mémoire individuelle et collective. Ce phénomène génère des ruptures et discontinuités dans la transmission de l’histoire auprès de celles et ceux qui sont dans l’action militante, en situation professionnelle ou en responsabilité. Pourtant, chacun gagnerait à s’approprier cette histoire dans ses différentes dimensions (institutionnelle, scientifique, technique, politique, sociale, militante et citoyenne), ou tout au moins à avoir la faculté d’accéder plus facilement qu’aujourd’hui à des informations et des pages de cette histoire entrant en résonance avec le métier, l’activité, la tâche ou la mission qu’il exerce.
C’est pourquoi, la connaissance de l’histoire de la protection de la nature par son enseignement, son partage et sa diffusion devrait devenir une source d’inspiration et d’enrichissement pour toutes celles et tous ceux qui s’engagent et agissent sur ce terrain, du simple citoyen aux décideurs.
Il apparaît même que faire appel à cette histoire, la sortir de l’oubli dans lequel elle s’enfonce déjà, soit une nécessité vis-à-vis, en particulier, d’une opinion publique, de médias, de responsables politiques et d’élus. On les dit, désormais, plus sensibles aux enjeux environnementaux d’aujourd’hui, mais ils ignorent que ceux-ci ont souvent une dimension historique à prendre en compte. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple pris dans l’actualité, comment appréhender le dossier du glyphosate et la difficulté des agriculteurs - voire leur opposition - à renoncer à l’utilisation du Roundup sans connaître l’histoire de la genèse des herbicides de synthèse ? Ils ont en effet joué un rôle crucial dans la modernisation agricole des années 1950-1960, dont sont directement issus les systèmes d’agriculture intensive d’aujourd’hui...

Se tourner vers le passé pour mieux appréhender l’avenir

Il y a même péril en la demeure. Sans cesse appelées à travailler dans l'urgence, les associations de protection de la nature et de l'environnement n'ont pas toujours eu la possibilité de conserver une trace pérenne de leurs actions. Au fil des générations, les nouveaux arrivants n'ont pas toujours eu, non plus, le réflexe de rechercher et transmettre l’histoire de leurs structures à leurs successeurs. De déménagements en emménagements successifs, les archives relatant leurs actions et leurs activités n'ont pas été conservées.Les historiens qui travaillent sur les questions environnementales sont confrontés à des informations lacunaires, voire inexistantes, or l'histoire ne peut s’écrire sans interroger toutes les sources, publiques et privées. C’est la raison pour laquelle l’Association pour l’histoire de la protection de la nature et de l’environnement (AHPNE) encourage les structures porteuses de cette histoire, associatives notamment, à conserver et à valoriser leurs archives. Elle a réalisé l’inventaire des archives privées de la protection de la nature dans les départements du Finistère et de Seine-Maritime. En 2018, elle effectue cet inventaire pour les six départements de la région Centre-Val de Loire. Autre évolution allant dans le bon sens, des versements d’archives commencent à être effectués par des associations. Ainsi, France Nature Environ­nement et les Amis de la terre ont versé les leurs aux Archives nationales.
Se tourner vers le passé pour mieux appréhender la genèse des questions environnementales actuelles ne vise pas à y rechercher d’hypothétiques solutions aux problèmes du temps présent ou de verser dans la nostalgie. Il s’agit de parcourir et d’explorer lucidement cette histoire pour l’analyser, en révéler des pages oubliées et importantes, la mettre en débat, en tirer des enseignements ou encore distinguer les problèmes récurrents - en se gardant de tout anachronisme - des questions nouvellement posées.
Ces constats, ces préoccupations et ces attentes sont parmi celles qui ont motivé la création de l’AHPNE en 2009. L’Association réunit aussi bien des acteurs et des témoins porteurs d’une mémoire de la protection de la nature et de l’environnement que des chercheurs, notamment historiens. Elle a pour slogan : « La protection de la nature et de l’environnement a une histoire, écrivons-la ensemble ! »
Dans l’esprit de ce slogan, et avec la volonté de travailler à mettre en partage cette histoire, l’Association et son réseau sont ouverts à développer des partenariats, des coopérations et des synergies avec les organismes et les responsables de structures publiques et privées dont l’action et les projets entrent en résonance avec ses propres objectifs.