“Le temps était venu de sortir de l’impasse“

 

Espaces naturels n°7 - juillet 2004

Le Dossier

Olivier Thiebaud
Responsable du pôle Gestion de l’espace, parc naturel régional du Morvan

 

45 Chartes forestières de territoire ont déjà été élaborées. En quoi celle du Morvan est originale ?
Toute charte forestière de territoire est originale puisqu’elle est basée sur la concertation. Plus que résultat, c’est la démarche qui est importante. Dans le Morvan nous en étions arrivés à un stade très avancé de conflit, allant jusqu’à des grèves de la faim… Il faut savoir que dans les années 1960 le Fonds forestier national a largement subventionné la plantation des résineux, dans le but de faire de la pâte à papier. Les habitants ont très mal vécu la transformation très brutale de leurs paysages. Dans ce contexte particulier d’incompréhension entre les acteurs économiques et les nouveaux arrivants, la Charte forestière a été pour l’opportunité de faire évoluer les mentalités et de rapprocher les acteurs… Cet outil nous a permis d’enclencher une démarche de dialogue.
Que dire du très grand nombre d’acteurs… ?
Dans le Morvan, 17 150 propriétaires privés détiennent 85 % du foncier. Parmi eux des petits propriétaires, qui ont moins d’un hectare et des institutionnels tels le crédit lyonnais, la caisse d’épargne… Viennent ensuite l’État et les collectivités dont le foncier est géré par l’ONF. Sans compter les randonneurs, les écologistes, les professionnels du tourisme… Tous ces gens à mobiliser, à concerter, c’est une difficulté mais c’est aussi la richesse du Morvan.
C’est dans ce contexte que vous décidez d’élaborer une charte forestière…
C’est la commission forestière du Parc, sous l’impulsion d’Anne-Catherine Loisier, qui à proposer cette démarche de concertation. Les gens se sont associés spontanément. Pour tous, le temps était venu, de sortir de l’impasse.
Le Parc se positionne comme médiateur…
Sur ce territoire découpé en quatre pays, quatre départements, un certain nombre de communautés de communes, le Parc est la seule entité représentative du massif du Morvan.
Vous avez débuté par un audit…
En amont de l’audit, nous avons beaucoup réfléchi sur la méthode. Au risque de me répéter, je veux insister sur ce point car l’intérêt d’une Charte, c’est d’abord une démarche commune. 
Mais oui, nous avons demandé à un audit de repérer les différentes perceptions de la forêt auprès des propriétaires, professionnels et habitants. En trois mois, Anne Daudet a entendu 200 personnes. Ce travail nous a permis de faire remonter les attentes du terrain et dégager des axes de travail.
Je suppose que vous avez découvert des visions très différentes de la forêt ?
Adrienne Daudet, qui a mené cet audit, a synthétisé quatre points clés du débat forestier : il y a ceux qui pensent qu’une belle forêt est une forêt riche de diversité, il s’agit des protecteurs de la nature. Pour d’autres, forestiers, la forêt est la résultante d’une histoire humaine. D’autres encore voient la forêt comme un capital. Pour eux, une forêt est une richesse sur pied. Ceux qui partagent cette vision insistent d’ailleurs sur le fait qu’une forêt privée n’est pas un bien public. Et puis, quatrième catégorie, il y a des gens qui voient la forêt comme un territoire dans lequel on a ses repères, son histoire familiale ou culturelle.
Que fait-t-on après ce constat de positions antinomiques dans une démarche de concertation ?
On commence par inviter les 200 personnes auditées à une rencontre de restitution. Et puis, l’audit ayant permis de dégager les attentes des acteurs, on leur propose de se mettre au travail. C’est-à-dire, ensemble, de trouver des solutions aux questions que tous se posent d’une manière ou d’une autre. Ainsi le 20 février 2003, toutes les personnes qui le souhaitaient se sont inscrites à un atelier dont l’objet était la rédaction effective de la Charte de territoire.
Quatre ateliers s’articulaient chacun autour d’un thème précis : Comment transformer et valoriser les bois du Morvan, afin d’éviter d’avoir une fuite de la valeur ajoutée à l’extérieur du territoire ? Quelles pratiques sylvicoles favorables à l’environnement peut-on développer ? Comment œuvrer pour une valorisation économique des feuillus ? Un dernier atelier abordait les thèmes de la sensibilisation, de la formation.
Le bouche à oreille a fait la suite, les ateliers se sont étoffés au fil du temps.
On part tout de même de visions très différentes…
Plusieurs conditions ont été déterminantes à la bonne marche des ateliers. Tout d’abord le choix judicieux de confier leur animation à deux ingénieurs forestier et écologue. Roland Sus est acteur de l’association futaie irrégulière. Son regard, depuis la forêt privée, nous offre une connaissance technique et économique ; tout en étant sensible aux aspects environnementaux. Hervé Bouard, l’expert écologue, venait en appui. Tous deux connaissaient bien le territoire, sa problématique et ses enjeux.
Les partenaires sociaux se sont mobilisés car ils avaient l’impression de participer à un programme d’actions.
Et puis, il faut mettre l’accent sur le temps pris, lors la première réunion, afin que tout le monde soit bien d’accord sur les mots. C’est important cette étape. Vérifier qu’on parle le même langage.
Le travail des experts hors réunion a aussi été déterminant. Leur reformulation, leur synthèse, permettait à chacun de s’y reconnaître lors de la réunion suivante. En tout, il aura fallu quatre demi-journées de travail et dix-huit mois pour que chaque atelier aboutisse.
Dix-huit mois, c’est long…
La démarche qui conduit à la Charte forestière permet de poser les vrais enjeux de territoire, parce qu’elle émane du territoire. On va jusqu’au fond des choses. La concertation et le dialogue sont l’unique outil permettant d’aboutir à un aménagement du territoire de manière durable et pérenne. Cette démarche commune a d’ailleurs été reconnue par tous parce que la multifonctionnalité a été entièrement prise en compte.
Nous avons signé un document de programmation le 9 janvier 2004. C’est un engagement des signataires : le Parc, les représentants de la propriété forestière, l’ONF, l’union régionale des syndicats de la forêt privée…
Quelle garantie avez-vous que ce document soit appliqué ?
Parce qu’il émane des acteurs eux-mêmes. On peut penser qu’ils iront jusqu’au bout de leur ambition. Puis, plus prosaïquement, parce qu’il se décline en fiches action identifiant les porteurs de projets, le calendrier, la méthodologie, estimatif financier. Nous avons également des critères et des indicateurs de suivi… Chaque année, nous tenons une conférence, nous y faisons le point.
Si vous deviez donner un conseil…
Continuez régulièrement les réunions, nourrir l’implication des acteurs de terrain. La concertation c’est un état d’esprit. Et puis : ne pas oublier d’associer les éventuels partenaires financiers. Conseils généraux, régionaux… doivent pouvoir prendre place dans la démarche dès que le document de programmation prend tournure car le financement d’une charte forestière n’est pas prévu dans les textes. Il est là aussi, le fruit d’un partenariat local.

Propos recueillis par Moune Poli