Son protocole de suivi devient une référence
Espaces naturels n°7 - juillet 2004
Bernard Pont
Conservateur de la réserve naturelle de l’ile de la platière
La réserve forestière intégrale de la réserve naturelle de l’île de la Platière alimente la réflexion sur la gestion des boisements alluviaux. La connaissance du fonctionnement des forêts alluviales permet de fonder des choix de gestion. Elle permet également d’évaluer le degré de naturalité des boisements alluviaux, en apportant une référence précieuse.
Une partie des boisements de la réserve naturelle de l’île de la Platière n’a presque jamais fait l’objet d’intervention sylvicole. Ce diagnostic, effectué notamment par l’étude de cartes en date du 19e siècle, est confirmé par l’observation. La structure forestière est typique des forêts denses : présence de gros arbres, pas de souches visibles, abondance du bois mort. Ce haut degré de naturalité confère, à ces trente hectares, un fort enjeu patrimonial. Dès 1991, le premier plan de gestion vise la mise en place d’une réserve forestière intégrale qui, aujourd’hui, couvre 34 ha 20. Elle devrait, à terme, atteindre une cinquantaine d’hectares, incluant des boisements à moindre degré de naturalité.
Protocole de suivi
de la dynamique forestière spontanée
Le protocole de suivi à long terme de cette réserve vise à améliorer les connaissances relatives à la dynamique spontanée des boisements alluviaux et d’en tirer des enseignements pour la gestion conservatoire ou productive. Un deuxième objectif vise à évaluer la pertinence du choix de non-intervention. Il s’agit notamment d’être vigilant aux risques liés à la dérive fonctionnelle de l’hydrosystème (enfoncement de la nappe phréatique, diminution de la fréquence d’inondation) ainsi qu’aux espèces végétales invasives, particulièrement l’érable negundo.
Exploitation des données et enseignements pour la gestion
Les données collectées lors des deux campagnes de relevés (1994 et 2002) donnent lieu à de nombreuses exploitations. Elles se regroupent en deux catégories : description des structures forestières (accessible dès la première campagne de relevé) et approche de la dynamique forestière (à partir de la seconde campagne).
Structure forestière. La description fine des structures forestières issue du protocole mis en place à la Platière constitue une référence. Du coup, elle peut être utilisée pour définir les objectifs et opérations de gestion d’autres parcelles forestières. En effet, la comparaison des caractéristiques structurales des parcelles faisant l’objet de diagnostic avec les structures décrites dans la réserve forestière intégrale permet d’évaluer le degré de naturalité des boisements.
Ce diagnostic est important car, du fait de la complexité des boisements alluviaux (grand nombre d’espèces d’arbres mélangées, structure complexe de type forêt dense, méconnaissance de la dynamique spontanée) les modèles classiques de sylviculture (basés sur des peuplements mono ou plurispécifiques et le plus souvent sur des structures régulières) ne s’appliquent pas. En l’absence d’itinéraires techniques reconnus pour les boisements alluviaux, l’hypothèse retenue est qu’une sylviculture se rapprochant du fonctionnement naturel est garante de la durabilité de la gestion.
Établir le diagnostic du degré de naturalité (ou encore de l’écart entre la structure forestière observée et la référence naturelle) est alors un préalable indispensable au choix des objectifs : un boisement présentant une structure assez naturelle pourra faire l’objet soit d’une non-intervention (cas d’une gestion conservatoire), soit d’une sylviculture douce (type pro-sylva) préservant la structure forestière tout en permettant une production de bois.
À l’inverse, des peuplements plus artificialisés nécessiteront des interventions plus fortes pour aider au retour vers des structures plus proches de l’état naturel si c’est l’objectif recherché, ou à l’inverse pourront continuer à faire l’objet d’une sylviculture « simplificatrice » sans grande conséquence sur la biodiversité si cela correspond à l’objectif du propriétaire.
Dynamique forestière. L’identification individuelle des arbres sur chaque placette par les coordonnées polaires, constitue la principale originalité du protocole mis en place. Avec un suivi individuel des arbres à long terme, on possède une mesure précise des paramètres démographiques essentiels tels que la mortalité et le recrutement ; cette identification portant également sur le bois mort, la dynamique de ce bois peut également être approchée. Les résultats ainsi obtenus sont, eux aussi, utilisés dans le cadre de la gestion des autres surfaces forestières.
Les essences exotiques et l’estimation du risque invasif. Les principales essences concernées sont l’érable negundo et le robinier. Le suivi a montré qu’ils ne se régénèrent pas ou très peu dans les stades de forêt de bois durs. Dans ces types de boisements, le risque invasif n’est donc pas à redouter. À l’inverse, la régénération d’érable negundo dans les saulaies est présente et efficace (observation de semis et de recrutement). La mise en perspective de cette observation, avec l’important sous étage d’érable, observé dans les peupleraies blanches (qui constituent le stade d’évolution suivant la saulaie), permet d’affirmer que le risque invasif est bien réel dans les forêts de bois tendre. Si des efforts de limitation de cette essence sont à entreprendre, c’est bien dans ce type de boisement qu’ils doivent l’être.
Régénération et régime de perturbation. Les deux campagnes de suivi permettent de caractériser la dynamique de perturbation et de régénération des forêts de bois durs. Tout se passe comme si deux populations d’arbres au fonctionnement bien différencié coexistaient :
- D’une part les arbres de la canopée qui forment une futaie claire. Le régime de perturbation y est très peu important : en huit ans, seuls 1,4 % des arbres sont morts, ont été renversés par le vent ou ont disparu (soit moins d’un arbre par hectare et par an) et ce, malgré le passage de la tempête de décembre 1999.
- D’autre part, les individus issus du recrutement. La régénération est massive avec des densités de semis de l’ordre de 1 000 à 2 000/ha. Cette régénération est efficace puisqu’elle se traduit par un recrutement (c’est-à-dire l’apparition d’arbres atteignant le diamètre de recensement de 7,5 cm) important et diversifié : il représente environ 100 arbres/ha en huit ans, répartis sur onze espèces.
Au sein de cette population, la mortalité est importante puisque 20 % des arbres recensés en 1994 sont morts ou ont disparus en 2002. Il y a donc un renouvellement rapide de cette population dont une infime partie parvient à atteindre la canopée à l’occasion de l’ouverture d’une trouée.
Ces observations légitiment le choix de l’itinéraire technique envisagé pour la restauration de peuplements forestiers de bois dur à partir d’anciennes peupleraies artificielles ou de taillis de frênes. L’accélération de la constitution d’un peuplement clair (50/ha environ) d’arbres structurant la canopée par coupe d’éclaircie/balivage et plantation dans les grandes trouées de boutures d’essences pionnières (saule ou peupliers noir ou blanc) à croissance rapide.
Dynamique du bois mort. Les deux premières campagnes de suivi permettent d’approcher la vitesse de disparition des arbres morts : plus de la moitié des troncs au sol (chablis, volis) ont disparu en huit ans ce qui permet d’estimer le temps de décomposition à une quinzaine d’années. À l’inverse, les chandelles présentent un taux de disparition beaucoup plus faible (y compris pour des arbres de bois tendre comme le peuplier noir ou le peuplier blanc) : à peine 1/5 des chandelles ont disparu après huit ans et à l’inverse 1/3 a été retrouvé toujours à l’état de chandelle. Ces chiffres peuvent servir de base pour une politique de restauration du compartiment bois mort au sein de boisements alluviaux exploités.
Le suivi de la réserve forestière intégrale représente un coût assez important (deux mois de travail à deux personnes pour une campagne de relevés, hors analyse des données). Cet investissement est toutefois largement justifié par les résultats acquis et les apports pour la gestion des boisements du corridor alluvial dans le cadre de Natura 2000.
1. Diamètre à 1,30 m du sol.
2. Pour un arbre : c’est la superficie de la section orthogonale de sa tige à 1,30 m du sol. Pour un peuplement forestier : c’est la somme des surfaces terrières de ces arbres constitutifs.
Son abréviation internationale est g.