Vautours et charniers, changement de régime

 
Les vautours fauves ont-ils changé de comportement ?

Espaces naturels n°24 - octobre 2008

Gestion patrimoniale

Jean-Marc Cugnasse
Office national de la chasse et de la faune sauvage

 

Les vautours sont des charognards. Cette constatation a fondé les dénis d’ornithologues confrontés aux plaintes d’éleveurs certifiant d’attaques de bétails par des vautours fauves. Le comportement animal est-il immuable ?

Les premières plaintes pour dommages au bétail dans les Pyrénées françaises datent de 1990. Leur nombre a augmenté en 1996-1997 pour atteindre la centaine en 2007, en même temps qu’éclatait le problème de prédation en Navarre et dans les médias espagnols.
L’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et le Parc national des Pyrénées établissent des constats, complétés depuis 2007 d’expertises réalisées par des vétérinaires, afin de tenter de mieux comprendre la responsabilité des vautours et d’étayer la décision de l’État.
Les premières analyses des constats et expertises indiquent qu’avant 2006 les dommages survenaient de juin à octobre, période de dispersion des jeunes vautours et de mises bas chez les bovins. Spatialement, les études mettent en évidence un fort recouvrement avec la répartition des troupeaux en estive proches de la plus forte colonie française de vautours.
Depuis deux ans, les dommages s’étalent dans le temps (sur l’année) et dans l’espace puisqu’on en trouve trace dans le Piémont et le Pays Basque, jusqu’à proximité de fermes et d’habitations.
L’essentiel des plaintes concerne des bovins et des ovins en difficulté ou en état de faiblesse (mise bas difficile, pathologie, accident…). Les vautours peuvent accélérer la mort d’animaux condamnés ou provoquer la mort d’animaux en difficulté. Les animaux sains sont très exceptionnellement attaqués (veaux en train de dormir…) mais les vêlages sont des situations très exposées.
La montée en puissance du nombre de plaintes relayées par certains médias a suggéré une évolution du comportement du vautour fauve, le moins prédateur des vautours. La mise à mort exceptionnelle de bétail par des vautours, confirmée récemment par des spécialistes espagnols, était pourtant citée dès le 19e siècle.
Ces attaques seraient-elles liées à une « surpopulation » ? L’effectif pyrénéen du vautour fauve est passé de 50 couples vers 1960 à 580 en 2007 côté français (5 000 à 6 000 couples en 1999 côté espagnol, soit 20 000 individus). Même si la disponibilité alimentaire est difficile à quantifier, celle liée à l’élevage est supérieure au besoin des vautours français, notamment dans les Pyrénées-Atlantiques.

Qu’est-ce qui a changé ? Les vautours vivent souvent près de l’homme dans les régions pastorales où ils sont respectés. En France, les destructions passées les ont rendus très craintifs. La protection légale et l’entretien de charniers ont contribué à la modération de leur méfiance.
Alors que l’accession à une charogne pouvait prendre plusieurs jours, le vautour fauve prospecte aujourd’hui hors des massifs d’altitude notamment vers les exploitations du Piémont, se posant même, à l’occasion, sur leurs bergeries !
L’augmentation de leur effectif a accru la détection des animaux morts, moribonds ou en difficulté (les vautours en effet, tirent profit de la détection faite par leurs congénères). La compétition intraspécifique est susceptible d’inciter à l’initiative prédatrice dans un contexte d’opportunités diversifiées : pratiques nouvelles d’élevage (gardiennage réduit, mise au pré de jeunes vaches gestantes) ; situations à problème de certains animaux domestiques (vêlages difficiles, animaux affectés par un accident ou une pathologie particulière) ; ou contraintes (aérologie bloquante prolongée). Certains vautours peuvent alors ne pas attendre la mort éventuelle d’un animal en difficulté pour commencer à le consommer.
Cette compétition a été accrue versant français par l’arrivée de nombreux vautours d’Espagne privés brutalement, en 2006, des charniers aragonais approvisionnés jusque là surabondamment par la mortalité d’élevages intensifs (porcins), en application de réglementations européennes relatives à l’équarrissage. Cette mesure a également touché les vautours français qui s’y nourrissaient. Cette dispersion forcée s’est ajoutée à la redynamisation des flux entre les noyaux de la population dont l’espaces de vie a évolué des Pyrénées au bassin méditerranéen, du fait de réintroductions.

Perspectives. Le statut favorable du vautour fauve résulte d’actions de terrain largement partagées, notamment du soutien d’éleveurs en extensif qui bénéficient de leur rôle d’équarrissage naturel. Bien des acquis restent néanmoins fragiles.
Le nourrissage artificiel sans objectif scientifiquement fondé et surabondamment pourvu a montré des limites. Le bon état de conservation d’une population n’exige pas un effectif artificiel dont le fonctionnement pourrait perturber des espèces sympatiques. Le nourrissage a été arrêté en Ossau car la compétition pour les sites de nids était défavorable au gypaète barbu. Si la prédation par anticipation avérée (ne pas attendre la mort d’un animal pour le consommer) est encore peu fréquente, le risque ne peut être écarté de son développement dès lors que l’espèce y trouverait avantage socialement, qu’elle l’intégrerait dans sa culture et qu’elle le diffuserait au-delà des Pyrénées.
Une réflexion doit être portée par l’État, en concertation avec les scientifiques et les éleveurs, afin de faire émerger les bases d’une coexistence saine et durable des vautours et du pastoralisme, en intégrant le devenir de l’équarrissage en France après 2009 et la réouverture éventuelle des charniers en Espagne.