Les mœurs de la cistude
Espaces naturels n°9 - janvier 2005
Pascal Faverot, Cren Rhône-Alpes, Antoine Cadi, Noé Conservation
Voilà dix ans qu’il en est ainsi : la conservation de la cistude d’Europe est une préoccupation en Rhône-Alpes. Cette volonté fut d’ailleurs scellée en 2000 par la signature d’une convention entre l’université de Lyon I, l’association du Nord-Isère « Lo Parvi » et les Conservatoires d’espaces naturels de Savoie et de Rhône-Alpes. Sa finalité visait à mieux connaître le fonctionnement de cette tortue, afin de savoir gérer ses populations et leur territoire. Le temps est venu de faire partager cette expérience aux autres gestionnaires.
Ainsi donc, le programme de recherche mené en Rhône-Alpes sur la cistude d’Europe aura duré cinq ans. Son but ? Appréhender les éléments nécessaires à la prise en compte de l’espèce dans la gestion des zones humides. Pour y parvenir, il aura fallu multiplier les approches complémentaires : protocole/capture, marquage/recapture, suivi par télémétrie, cartographie… Une investigation in-situ a été doublée d’observations ex-situ, notamment sur des bassins expérimentaux.
Parmi les conclusions, ce travail a notamment montré que la préservation des cistudes doit prioritairement prendre en compte l’échelle d’intervention. Ainsi, par exemple, la protection de tout ou partie d’un étang est clairement insuffisante pour assurer de façon pérenne la conservation de la cistude d’Europe.
En effet, les cistudes présentent un schéma d’utilisation de l’espace contrasté selon la période de l’année. Ainsi, le site d’hivernation est restreint à un habitat procurant des conditions thermiques stables et offrant une certaine tranquillité. Pendant cette période, d’octobre à avril, les déplacements sont de courte distance, la densité d’individus semble élevée.
Cependant, avec le retour du printemps et la reprise d’activité des cistudes, les individus se dispersent et colonisent progressivement l’ensemble des milieux aquatiques fortement végétalisés disponibles. Ce comportement est probablement lié à une optimisation de l’utilisation des ressources disponibles et semble indiquer l’évitement d’une compétition intraspécifique concernant principalement l’alimentation et les sites de bains de soleil. Le fort recouvrement des domaines vitaux d’une année sur l’autre indiquerait que ce schéma d’utilisation est répété fidèlement chaque année.
Ces modalités d’utilisation de l’espace par les adultes ne semblent cependant pas observées chez les juvéniles qui restent cantonnés dans une zone restreinte. En effet, à l’éclosion, les jeunes gagnent le milieu aquatique le plus proche et s’y maintiennent durant plusieurs mois, peut-être plusieurs années. Cette zone correspond, la plupart du temps, à l’habitat aquatique le plus proche des sites de ponte identifiés.
Sur terre, les déplacements peuvent dépasser le kilomètre au moment de la ponte (mi-mai, mi-juillet). Ils ont lieu plutôt en fin de journée et la ponte s’effectue à la tombée du jour ou dans la première moitié de la nuit. Les sites sélectionnés semblent présenter, en général, des caractéristiques communes d’ensoleillement, de végétation rase, de terre nue et d’orientation sud-est/sud-ouest. Prairies sèches, mais également cultures, bords de chemins ou de routes, ou digues d’étangs font souvent l’affaire. Notons d’ailleurs que les cultures de printemps offrent aux femelles de grandes surfaces de terre nue : avec la poussée des plans, l’ombre et l’humidité vont augmenter et empêcher le développement des embryons qui ne verront pas le jour.
Non seulement le gestionnaire doit considérer l’ensemble des habitats nécessaires à la réalisation de la totalité du cycle vital, partie terrestre comprise, mais il doit également considérer l’état des zones de transit vers le site de ponte et surtout l’absence d’obstacle. N’oublions pas que quelques femelles adultes écrasées lors de leur déplacement pour la ponte peuvent mettre en péril la population. Le travail sur la démographie des populations souligne l’importance particulière de la survie des individus adultes. Les échanges entre populations sont vitaux et, pour relier deux populations entre elles, les connexions entre zones humides (fossés, ruisseaux ou haies) doivent donc être considérées.
Et puis, ne pas oublier, non plus, l’importance d’une gestion pérenne des sites de ponte, compte tenu de la fidélité inter-annuelle constatée.