Alliance

Gestionnaires et botanistes au chevet du Glaïeul des marais

 

Espaces naturels n°63 - juillet 2018

Gestion patrimoniale

Le Conservatoire botanique national alpin et les Conservatoires d’espaces naturels Rhône-Alpes et Haute-Savoie œuvrent à sa protection depuis une vingtaine d'années. Une collaboration botanistes-gestionnaires fructueuse, à entretenir.

Le Glaïeul des marais, Gladiolus palustris, disparaît du fait de la raréfaction des zones humides.

Le Glaïeul des marais, Gladiolus palustris, disparaît du fait de la raréfaction des zones humides.

Tout a commencé en 1999, dans les prairies humides de l’Ain et de la HauteSavoie. Des naturalistes des Conservatoires d’espaces naturels (CEN) se mirent à l’œuvre parmi les herbes trempées de rosée pour compter le nombre de pieds fleuris de glaïeul. La tâche pouvait paraître titanesque. Pourtant, on ne recensa que 6 000 tiges fleuries. Une situation alarmante, sachant que la région Rhône-Alpes héberge l’essentiel des populations  ! Heureusement, la poursuite du travail d’inventaire, les années suivantes, fut plus rassurante : dix-neuf stations recensées dans l’Ain, neuf en Haute-Savoie, deux dans le Jura, et une poignée en Alsace.

 

CONNAÎTRE LA PLANTE SOUS TOUTES SES COUTURES

Le Conservatoire botanique national alpin (CBNA) étudie alors l’espèce en profondeur. Dès 2000, un plan partagé de préservation de l’espèce est initié. Les analyses tournent autour de la capacité de germination, des conditions de stockage de graines et de la période idéale de mise en culture du Glaïeul des marais. Il s’agit d’assurer la sauvegarde de l’espèce sous la forme de semences et de produire de quoi renforcer des populations trop faibles. Les recherches permettent d’identifier deux paramètres limitant la germination de la graine : (i) une inhibition des téguments1 , pouvant être levée par scarification (frottement léger au papier de verre) et stockage au frais  ; (ii) le faible développement des embryons, ne permettant pas la germination, malgré des conditions favorables - ce qui nécessite plus de patience et de maturation, mais assure aux graines présentes dans le sol une capacité de germination de plusieurs années.

Sur le terrain, l’analyse du foncier montre des pressions sur l’espèce très contrastées suivant les régions. En Haute-Savoie, une pression urbaine forte est en partie responsable de la perte de certains sites. Dans le Bugey, la culture de l’épicéa met à mal les quelques clairières favorables au glaïeul.

 

CHOIX FONCIERS ET BOTANIQUES

Les premières questions posées concernent le contexte naturel dans lequel la plante se trouve : si les conditions pédologiques et hygrométriques semblent dans l’ensemble appropriées à la survie de l’espèce, un regard rétrospectif permet de mieux comprendre les raisons de la disparition de la plante et de concentrer les efforts sur les stations encore favorables. D’autant que les caractéristiques foncières - du privé morcelé avec des propriétaires parfois éloignés - et l’usage du terrain ne facilitent ni l’acquisition ni l’intervention sur cette imbrication de boisements, de clairières et de prairies. En effet, une réinjection dans l’économie agropastorale n’est guère envisageable sur les micro-sites. Dans le Bugey, la mise en place d’une gestion appropriée se heurte vite aux velléités de propriétaires fonciers soucieux de produire du bois d’œuvre. Si la maîtrise foncière par les deux CEN devient progressivement une réalité, la discussion de terrain reste stratégique  : en Haute-Savoie, elle permet qu’une société de chasse abandonne un projet de labour visant à insérer une culture à gibier ; dans le Bugey, le CEN travaille avec les exploitants forestiers sur les lieux de stockage de bois d’œuvre. Mais des difficultés demeurent, notamment dans le cas d’interventions d’entreprises de débardage venant des pays de l’Est, avec des employés non francophones... D’autres solutions de maîtrise foncière sont alors choisies comme l’échange de parcelles avec le propriétaire.

D’autres questions ont trait au choix des stations. In situ, doit-on tenter de maîtriser chacune des stations ou faut-il se concentrer sur les plus riches en glaïeuls ? Que faire des stations très éloignées, pour lesquelles les échanges génétiques deviennent illusoires  ? À la tentation d’abandonner une station trop isolée, la découverte de localités intermédiaires a apporté une réponse inattendue avec une continuité encore présente.

La question d’introduire ou réintroduire de jeunes plants a bien sûr été abordée. Le choix s’est porté avant tout sur le renforcement de populations encore pérennes dans des conditions environnementales propices. Des réimplantations ont eu lieu sur deux sites : une première phase test sur les périodes et profondeurs de plantation a permis une seconde réimplantation optimale et avec de bons résultats.

Enfin, pour suivre l’évolution de l’espèce, les premières tentatives montrent l’obligation de prendre en compte les pieds non fleuris pour atténuer les disparités interannuelles, beaucoup de glaïeuls n’allant pas jusqu’à la floraison chaque année. Un protocole a donc été élaboré, testé sur deux ans puis réadapté par le Réseau de conservation de la flore Alpes-Ain2 en 2011 en placettes permanentes sur chaque site pour un comptage annuel des individus fleuris et non fleuris…

La démarche a été partagée avec des homologues du Jura, d’Alsace et de Suisse, afin de démultiplier les analyses et retours de terrain.

 

MAINTENIR LA VIGILANCE

Dix-huit ans après la première investigation, une journée bilan a été organisée entre les divers acteurs concernés3 . Le constat est positif ou favorable : on observe une amélioration significative des populations de Glaïeul des marais. La collaboration entre CEN et CBNA a été efficace et indispensable. Mais il n’est pas question de baisser la garde. D’une part, l’obtention ex situ de bulbes à réimplanter reste ardue et longue (trois à quatre ans). D’autre part, la maîtrise foncière et la gestion artificielle sont complexes. Mais des acquis sont là… On sait maintenant, par exemple, qu’une fauche annuelle tardive est favorable à l’augmentation de la population. En témoigne le test effectué par le CEN Haute-Savoie sur une station où le glaïeul était proche de l’extinction  : le décalage des dates de fauche a permis à la plante de se redéployer. Autre raison de rester attentif : les difficultés accrues pour obtenir des budgets sur des sites rarement identifiés en espaces naturels sensibles ou Natura 2000 pourraient mettre en péril des années d’efforts. La direction départementale des territoires de la Haute-Savoie engage toutefois une réflexion afin d’intégrer les hot-spots à glaïeuls dans le réseau européen Natura 2000.

(1) Enveloppes protectrices de la graine

(2) bit.ly/2GL5s48

(3) bit.ly/2GP674z