Natura 2000 et territoires

Construire une culture commune

 
Aménagement - Gouvernance

Hervé Coquillart
Cren Rhône-Alpes
Pascal Faverot
Cren Rhône-Alpes
 

Dix-huit mois après l’engagement du programme Life nature et territoires en Rhône-Alpes, un premier bilan apporte des indications sur la manière dont les acteurs locaux peuvent s’approprier Natura 2000.

En 2003, dans un contexte général de morosité et de réticences vis-à-vis du réseau Natura 2000, le Cren Rhône-Alpes et l’ONF décident de monter un programme Life nature. Seize sites s’intègrent à cette démarche. Chacun d’eux est porteur d’un projet de développement territorial, chacun d’eux s’inscrit dans sa propre histoire, sa propre culture et dans sa propre logique socio-économique.
Comme un fil rouge, le Life nature et territoires se donne alors pour objet de croiser et analyser ces expériences positives. D’un territoire à l’autre, les expériences partagées vont permettre la mise en réseau. L’objectif, le pari, c’est de faire apparaître le réseau Natura 2000 comme une ressource pour les territoires.
Tout d’abord, le dialogue
Dix-huit mois durant, divers séminaires scientifiques, journées d’échanges, comités de pilotages, débats… sont organisés. Ils impliquent certes des techniciens et des scientifiques, mais aussi les élus locaux, les socioprofessionnels. Au fil du temps, le constat s’impose : une culture commune Natura 2000 est en train de s’installer.
Celle-ci naît de la mixité des points de vue. Le dialogue permet toujours de franchir les frontières qui trop souvent s’imposent entre les groupes enfermés dans leurs convictions. Ici, l’expérimentation partagée, relayée par une écoute attentive, a été l’un des vecteurs de ce fondement commun.
Aujourd’hui, chacun s’accorde à penser que l’appropriation locale du patrimoine naturel est le préalable à toute démarche de sauvegarde de la nature. Ce consensus est le fruit d’un vécu partagé : celui d’une élue locale expliquant comment elle a dû convaincre son conseil municipal. Les questions de sauvegarde du patrimoine naturel avaient été abordées à travers la procédure Natura 2000, ses règles administratives, ses démarches réglementaires et contractuelles. Cette approche n’avait suscité que des oppositions.
L’écoute et le respect mutuel ont su générer une vue collective. Comme celle-ci, d’autres façonnent maintenant la
culture commune. Il n’est plus question de modéliser une démarche ou de faire des généralités. Ce premier bilan montre que chaque site est différent. « La singularité de chaque cas impose une intelligence des situations. La prise en compte des cultures, de l’histoire, du passé, du terrain, est déterminante pour construire un projet. » De la même manière, tous attestent qu’il faut apprendre à se connaître pour travailler ensemble. Ils expriment que les opérations Natura 2000 « marchent » à la mesure du temps pris pour dialoguer.
Mais les porteurs du Life nature et territoires ont conscience que pour fonder une culture commune, il est nécessaire aussi ­– surtout – de posséder des concepts fondateurs en commun. Donner le même sens aux mots mais, également, posséder les mêmes grilles d’analyse pour mettre l’action en perspective. C’est pourquoi, lors de certaines rencontres, des scientifiques étaient présents.
La prise de recul
Les agriculteurs préservent-ils la biodiversité… ? Invité à l’une de ces réunions, Pierre Joly, chercheur en écologie, a revisité le débat sur la base de la théorie des perturbations limitées.
Dans les sociétés rurales traditionnelles, a-t-il expliqué, les agriculteurs assuraient en permanence, de manière automatique, ces multiples perturbations modérées favorables à la biodiversité. Toutefois, une augmentation de la puissance d’intervention sur le milieu, ou l’abandon des pratiques, conduisent à une baisse de cette biodiversité. Après quelques décennies d’opposition entre une nature mise sous cloche et une intensification des pratiques, les agriculteurs, comme les élus locaux, prennent conscience de cet enjeu nouveau et tentent, pour les uns, de raisonner leurs pratiques et, pour les autres, d’intégrer la biodiversité et les soucis paysagers dans la réflexion sur le territoire.
Loin d’un exposé théorique, destiné
à nourrir la culture personnelle des acteurs, ce type de séminaire scientifique a le grand mérite de dépersonnaliser les débats. Chacun s’autorise à prendre du recul et surtout à se percevoir comme l’élément d’un système dont il ne maîtrise pas tous les rouages. Il devient alors possible de parler des agriculteurs sans que chacun se sente pris à parti en tant qu’individu. Dans ce cas présent, il est devenu possible de s’interroger sur la manière de renforcer le « raisonnement » des pratiques agricoles, en particulier sur des territoires difficiles, pour qu’elles retrouvent ce rôle de perturbation limitée.
Au sein du Life nature, les acteurs vont plus loin. L’idée que « ce n’est plus l’agriculteur seul qui façonne le rural » commence à être admise. La culture partagée intègre dorénavant les questions d’imbrication du développement rural et du maintien des espaces naturels.
Par petites touches, toutes ces contributions construisent une nouvelle lecture de Natura 2000.
Un regard sur soi
Lors d’une autre rencontre, le regard du sociologue André Micoud a complété le trousseau des clés de la réussite en analysant les conditions d’implication des acteurs des territoires. Il a montré qu’il existait plusieurs niveaux de réceptivité de l’action : rationnel, sensible, social.
Rationnel, tout acteur a besoin de se fier à des savoir-faire, à une faisabilité technique, à des résultats scientifiquement approuvés. Sensible, il peut être ému par une dimension esthétique, imaginaire qu’il ne faut pas négliger dans le projet. Social, il demande un dispositif avec des règles, des normes dont la réussite sera facilitée par une co-construction.
Forts de ces schèmes, chacun a pu s’interroger pour reconnaître chez l’autre (chez lui) les niveaux qui s’expriment et faire un pas de plus vers l’ouverture, la mise en réseau escomptée.
Mais, dix-huit mois, c’est jeune pour un programme. Les processus d’évolution des représentations sociales sont lents. Une chose est sûre, une dynamique est engagée.

Moune poli à partir des propos de Hervé Coquillart et Pascal Faverot