>>> Parc marin de La Réunion

Bouturage et transplantation de coraux,

 
genèse d’une action pilote

Espaces naturels n°9 - janvier 2005

Le Dossier

Alain Barcelo
Région Réunion/Parc marin

 

Initialement pensées comme des actions d’envergure, les opérations de restauration d’écosystèmes dégradés ont abouti à une expérimentation limitée dont les protocoles de suivi s’orientent prudemment vers l’évaluation de l’opportunité de ce type d’intervention. Cinq années de concertation ont été nécessaires pour atteindre ce résultat.

Très tôt, l’association « Parc marin de La Réunion » a souhaité réhabiliter des récifs coralliens dégradés. Elle souhaitait procéder à des opérations de transplantation/bouturage de coraux. La première action de ce type, de portée minime et nécessitant un budget limité, aurait pu aboutir en quelques mois. Elle a été très difficile à mettre en œuvre du fait de la multiplicité des points de vue des acteurs concernés.
Les institutionnels montraient un vif intérêt pour la réhabilitation de vastes surfaces lagonaires permettant la mobilisation d’une main-d’œuvre nombreuse. L’absence d’évaluation des coûts nécessaires constituait cependant une contrainte majeure à lever.
Un fragile consensus
Les scientifiques, favorables au « laisser faire la nature », exprimaient de fortes réserves sur l’opportunité de réhabiliter le milieu, opposant notamment la nécessité de supprimer au préalable les causes responsables de la dégradation.
L’intervention envisagée était considérée comme une artificialisation du milieu le rendant plus vulnérable aux variations naturelles futures ; elle était parfois même perçue comme une perturbation supplémentaire pour l’écosystème. Les associations de protection de l’environnement craignaient en outre que la maîtrise des techniques de réhabilitation n’entraîne une baisse de la vigilance sur le contrôle des atteintes au milieu.
Les pêcheurs étaient, entre autres, plutôt partisans d’opérations visant à creuser le lagon pour améliorer la circulation des eaux.
À la croisée de ces différents courants de pensée, le Parc a dû faire évoluer les positions respectives des parties afin de construire un projet ayant une ambition limitée mais permettant tout à la fois : 1) de tester en phase opérationnelle une action de transplantation/bouturage de coraux, 2) de lever les incertitudes administratives, financières et techniques,
3) de former du personnel disposant de cette technicité, 4) de contribuer à l’insertion de publics issus du milieu du braconnage, 5) d’évaluer la réussite de l’opération et ses impacts.
L’expérimentation en chiffres
Deux sites ont été choisis dans le lagon de Saint-Leu. Sur chacun d’entre eux, deux stations d’accueil, composées de trois zones d’étude de 2 m2 ont accueilli seize boutures/transplants par m2. L’expérimentation a nécessité quarante hommes/jour et 120 kg de ciment prompt pour fixer 384 boutures/transplants coralliens sur une surface totale de 24 m2.
Malgré des conditions climatiques défavorables (blanchissement, houle cyclonique) et des dégradations par piétinement, 66 et 40 % des boutures/transplants ont survécu, sur chaque site, trois mois après l’opération. L’action pilote a, bien sûr, donné lieu à un suivi scientifique (pour cinq ans), à une évaluation et à une analyse des points faibles et forts.
Toujours des interrogations
D’une façon générale, de nombreuses interrogations subsistent. En cas d’atteinte d’un milieu récifal, il semblerait préférable de « laisser faire la nature » : sa capacité naturelle de récupération (résilience) permettant son rétablissement. La résilience d’un récif, après une atteinte majeure (cyclone, blanchissement), reste peu connue. La recolonisation de récifs dégradés s’effectue à une échelle locale mais également à une échelle plus large, la région biogéographique ; elle est fonction de nombreux paramètres, notamment la connectivité entre les sites coralliens d’une même région, et soumise à l’occurrence des facteurs de risques chroniques (pollutions, piétinements…).
Lorsque certaines zones gravement endommagées peinent à repartir et que les facteurs préjudiciables ont été maîtrisés, une réhabilitation ponctuelle et ciblée par les techniques de bouturage/transplantation garde donc tout son intérêt.
À La Réunion, toute opération de restauration devra s’inscrire dans le cadre de la gestion de la future Réserve naturelle, pour restaurer des parties de récif fortement endommagées et pour augmenter le stock de colonies matures aptes à réensemencer le milieu par un processus naturel.
Perspectives
Même si les incertitudes et les divergences de points de vue ne sont pas encore totalement levées, l’opération a été un succès sur les aspects médiatique et social avec l’implication d’une association composée d’anciens braconniers. Le suivi scientifique se poursuit afin d’évaluer la transformation progressive des coraux. Un nouveau consensus a été trouvé pour une autre opération. Son objectif est la création d’une nouvelle station sur le parcours du sentier sous-marin, en retrait de la zone de sanctuaire du projet de Réserve naturelle.