Les indicateurs de la biodiversité marine
Longues, coûteuses et difficiles à mettre en place, tels sont les adjectifs permettant de qualifier les méthodes d’évaluation de la biodiversité marine. Parmi elles : l’inventaire de la biodiversité par les taxons.
En mer, le nombre d’espèces actuellement décrites est de l’ordre de 200 000. De ce point de vue, la biodiversité marine est donc très inférieure à la biodiversité continentale. En revanche, on compte vingt-huit phylums1 animaux (dont quatorze exclusivement marins et deux découverts depuis 1980) contre onze en milieu continental (dont un seul est exclusivement continental).
Dégradation
de la biodiversité marine
On ne sait presque rien des virus, des bactéries, des protozoaires, des champignons marins. La situation est semblable en ce qui concerne les parasites.
La composition et l’organisation de la faune, de la flore et des habitats des océans changent sous l’influence, en particulier, du climat et de l’activité humaine à l’origine d’une détérioration sans précédant depuis les soixante dernières années avec des conséquences sur la diversité biologique. Parmi les causes de la perte et de la dégradation de la biodiversité marine, on distingue des menaces directes (fragmentation et perte d’habitats, surexploitation, pollutions diverses) et indirectes (aménagement des fleuves et du littoral, augmentation de la population humaine sur la côte, difficultés économiques de certains pays, non-reconnaissance ou sous-évaluation de la diversité marine et des ressources naturelles en termes économiques, faiblesses des institutions et des systèmes législatifs, absence d’une connaissance scientifique et transmission peu efficace de l’information). Cette situation exige l’évaluation de la biodiversité marine et son suivi, particulièrement dans les zones où l’activité humaine est forte ou va croissant.
Inventaires, indices, critères
Évaluer et suivre la biodiversité marine est une nécessité, au même titre que dans les autres milieux naturels2. Cependant, la difficulté de pénétration du milieu marin rend la tâche encore plus difficile. Une technique d’évaluation comme l’inventaire de la biodiversité par les taxons3 (ATBI : All Taxa Biodiversity Inventory) vise à fournir une description complète de toutes les espèces présentes dans une zone donnée, en ayant recours à des systématiciens expérimentés. Cependant, elle ne peut s’envisager qu’à certains points des côtes, déjà bien connus, comme la proximité des grandes stations marines. L’ATBI est, de toute façon, une technique qui se limite à un site particulier. Elle est coûteuse et implique des délais très longs. Il faut aussi prendre en compte la diminution rapide du nombre d’experts capables de produire les résultats.
De plus, non seulement la biodiversité doit être considérée à divers niveaux d’organisation biologique (du gène à l’écosystème et au paysage), mais également sur toute une gamme d’échelles spatiales et temporelles. Les mesures de richesse spécifique ne sont pas adéquates pour effectuer des comparaisons de la biodiversité à de vastes échelles régionales. L’utilisation d’un certain nombre d’indices a donc été proposée (cf. Warwick 2001, Heip et al. 2001).
Différents critères sont pris en compte incluant non seulement le nombre d’espèces, mais aussi le regroupement des individus, la position taxonomique3, le statut trophique ou bien la taille corporelle.
Caractéristiques
des espèces à suivre
Le terme « indicateur » étant largement utilisé en écologie et en élaboration des décisions, sa définition varie considérablement selon la perspective adoptée. Employé par des écologistes, des biologistes de la conservation et des gestionnaires de ressources naturelles dans le contexte de la diversité biologique, il désigne en général des attributs environnementaux, souvent des espèces ou groupes d’espèces, qui peuvent être échantillonnés et dont le changement dans le temps ou dans l’espace serait le reflet d’un changement de la diversité biologique dans son ensemble. On notera que par rapport à la définition d’indicateur de la qualité de l’environnement, celle d’indicateur de la biodiversité est beaucoup plus difficile. Une espèce, si elle peut être considérée comme « sentinelle » de telle ou telle dégradation écologique, ne peut pas représenter la diversité, même locale. On ne pourra se servir d’espèces que par groupes et en choisissant des caractéristiques signifiantes en termes de diversité. Ainsi, les espèces candidates vont être - en premier lieu - celles qui sont de véritables habitats : coraux récifaux ou grandes macrophytes telles les posidonies ou le maërl4 auxquelles sont associées des centaines d’autres espèces. On considérera aussi les espèces ingénieurs (stabilisatrices du sédiment) ou ayant une position trophique clé. Le suivi d’espèces invasives pourra aussi être informatif, mais nécessite encore des mises au point. D’autres types d’espèces peuvent être considérés comme des candidats potentiellement utiles dans le suivi de la biodiversité, mais doivent d’abord être sérieusement évalués. Ce sont les espèces pionnières, les espèces dont l’aire de répartition change sous l’influence des changements de climat (« remontée » vers le nord pour l’hémisphère nord), les espèces rares ou endémiques, certaines espèces commerciales.
Quelles alarmes pour la biodiversité ?
Il est difficile de détecter un danger affectant la biodiversité à partir de l’observation d’une seule espèce ou de l’évolution d’une population locale. La disparition d’une espèce marine à un endroit donné interviendra en fait longtemps après l’apparition de processus dangereux pour la biodiversité. Il faut donc utiliser d’autres indicateurs, plus sensibles, donnant une alarme plus précoce (à l’échelle cellulaire ou moléculaire), pour évaluer ce risque écologique. Ainsi les variations de métabolisme bien calibrées ou des mesures de produits sécrétés en réaction à un stress peuvent être des indicateurs bien plus efficaces de ces menaces, donnant le temps de réagir.
1. Phylum : ensemble biologique formé des individus d’une espèce animale ou végétale ainsi que de ses ancêtres et de ses descendants (Dict. des sciences de l’environnement, S. Parent).
2. Mandat de Jakarta sur la diversité marine et côtière, 1995.
3. Taxon : unité (famille, genre, espèce, etc.) permettant la classification des organismes vivants ou fossiles (Dict. des sciences de l’environnement).
4. Maërl : sédiment meuble composé essentiellement de débris d’algues rouges calcaires (id).
Biblio
Davies J. (senior Ed.) 2001 - Natura 2000 : Marine Monitoring Handbook. UK Marine SACs Project : Peterborough.
ISBN 1 86107 5243.
Féral J.-P., M. Fourt,
T. Perez, R.M. Warwick, C. Emblow, H. Hummel, P. van Avesaath & C.H.R. Heip 2003 : Biomare European Marine Biodiversity Indicators.
NIOO-CEME : Yerseke,
The Netherlands.
ISBN 90-74638-14-7
Friend, A and D. Rapport. 1979 : Towards a Comprehensive Framework for Environment Statistics :
A Stress-Response Approach.
Statistics Canada, Ottawa, Canada
Heip CHR, PMJ Herman & K. Soetaert 2001 : Indices of Diversity and Evenness. Océanis 24 (4) [1998] : 61-87
Warwick R.M. 2001 - Scaling of Marine Biodiversity. Océanis 24 (4) [1998] : 51-59