Le parc national des Écrins

Des méthodes alternatives à l’éradication chimique ?

 
Campagnol terrestre

Espaces naturels n°24 - octobre 2008

Études - Recherches

Paul Boudin
Parc national des Écrins
Hervé Cortot
Parc national des Écrins
Claire Gondre et Éric Vannard
Parc national des Écrins

Tous les cinq à dix ans, les zones de moyenne montagne connaissent des pullulations de campagnols et leur fréquence s’accélère.

Détecter les premiers foyers

Le campagnol consomme les parties souterraines des plantes et marque son passage par d’importants rejets de terre en surface. Les très fortes densités atteintes lors des pics de population (sans doute près d’un millier d’individus à l’hectare) ont un fort impact sur les prairies. Elles deviennent inexploitables pour la fauche, pénalisant les éleveurs locaux qui pratiquent une agriculture de montagne axée sur l’élevage bovin et ovin, où la production de fourrage de qualité revêt une grande importance. De plus, l’arrêt de la fauche a un impact sur la biodiversité comme sur les paysages. Depuis 1998, la partie nord du territoire du parc national des Écrins est confrontée à des pullulations de campagnols terrestres sur des prairies de fauche d’altitude. En 2001, près de 500 hectares sont ainsi dévastés entre 1 500 et 2 400 mètres d’altitude dans le canton de La Grave. À partir de 2002, la commune de Besse-en-Oisans est touchée à son tour.
Si ce phénomène est nouveau dans les Écrins, il n’en est pas de même dans d’autres régions. En Franche-Comté, les pouvoirs publics ont organisé dans les années 70 de grandes campagnes de lutte par appâts empoisonnés à la bromadiolone. Depuis 2001, un arrêté interministériel limite l’emploi de ce poison pour la lutte contre le campagnol terrestre et préconise une lutte préventive, notamment par piégeage.
Une délégation d’agriculteurs de La Grave et de représentants des services de l’État s’est rendue en 2002 dans le Doubs pour profiter de l’expérience de leurs homologues francs-comtois. « S’il paraît incontournable de mettre en place un système de lutte précoce, les agriculteurs du Doubs préconisent maintenant d’envisager d’autres formes de lutte indirecte qui prennent en compte tous les facteurs défavorables à ce rongeur », explique Éric Vannard, garde moniteur du parc qui faisait partie du voyage. À l’issue de cette tournée, une convention est signée entre le parc national des Écrins et le groupement cantonal de défense contre les organismes nuisibles du secteur de La Grave. Dans le cadre de cette convention, un technicien est employé en 2003 pour mettre en place un suivi à long terme et une lutte raisonnée contre le campagnol, notamment en formant les agriculteurs au piégeage.
Le rôle majeur des prédateurs généralistes dans la régulation des populations de rongeurs est également mis en avant. Le renard a alors été déclassé de son statut de nuisible sur le canton de La Grave et les prélèvements sur la commune de Besse-en-Oisans ont été diminués suite à la demande faite par les agriculteurs aux chasseurs de la commune. Des expériences de restauration des prairies ont également été conduites en collaboration avec la chambre d’agriculture : réensemencement des prairies et démonstration de matériel pour la remise en état des sols.
Le suivi à long terme initié en 2003 permet de faire l’état des lieux régulier de la situation (effectué par le Parc national des Écrins, il comprend une cartographie régulière des zones de pullulations, un suivi indiciaire des populations de campagnols terrestres et un relevé de la végétation). En créant un réseau de surveillance, on peut détecter les nouveaux foyers assez tôt pour établir un plan de lutte par les éleveurs concernés. En effet, si aujourd’hui on observe un retour à la normale progressif sur le canton de La Grave, si les agriculteurs de Besse-en-Oisans n’ont plus aucun problème à déplorer, le phénomène a gagné d’autres communes de l’Oisans : Mont-de-Lans et Clavans, et des pullulations menacent les prairies de Villar d’Arène en direction du col du Lautaret.