Milieux aquatiques

Évaluer la valeur économique de la qualité environnementale

 

Espaces naturels n°24 - octobre 2008

Aménagement - Gouvernance

Patrick Chegrani
Chargé de mission Direction des études économiques et de l’évaluation environnementale

 

Y a-t-il un intérêt économique à la restauration des milieux aquatiques ? Une réponse technique permet d’avancer des arguments en faveur de cette restauration. Mais comment chiffrer l’attachement de la société à ces milieux ?

Une baguette ou un pain de campagne ? Tout bon gestionnaire (du panier de la ménagère ou d’espaces naturels) se pose la question des avantages que génèrent les dépenses qu’il engage. C’est ainsi qu’il oriente ses choix.
Cependant, en matière d’espaces naturels, comment justifier des investissements pour leur préservation ? En effet, si les coûts sont concrets - car supportés par des acteurs - la notion d’avantages (ou bénéfices) est plus abstraite et la question se pose de savoir comment exprimer, en euros, ce que gagne la société à une amélioration de qualité environnementale. Aussi, afin de développer le raisonnement de l’évaluation économique, considérons un exemple1 : celui de la restauration de la migration du saumon. Imaginons un cours d’eau à salmonidés migrateurs sur lequel un obstacle infranchissable a été érigé. Supposons alors que cet ouvrage soit le sujet de discussions relatives à son aménagement, voire son effacement, en vue de permettre le retour du saumon.
Dans le débat, le gestionnaire de l’ouvrage avancera des arguments en termes de coûts des travaux (passes à poissons par exemple) et développera l’intérêt du projet (de l’obstacle) dans sa fonction actuelle (alimentation en eau potable, production d’énergie…). Le gestionnaire peut-il répondre ? Quels avantages peut-il avancer pour comparaison ?
Une première idée est d’estimer le produit issu de la pêche commerciale des saumons. Ce calcul, basé sur le prix du kilo, échappe toutefois aux objectifs poursuivis, qui sont d’ordre environnemental, et non commercial. Première idée ; petite idée. Voyons donc autre chose.
Une seconde idée voudrait que l’on estime les retombées économiques de la pêche récréative. La réalisation du projet pourra en effet entraîner le développement d’une telle pêche et, par là même, induire le développement d’autres activités économiques (matériel de pêche, hébergement, restauration).
Cette seconde idée est vaine dans la mesure où elle n’entraîne aucun coût ou avantage pour l’économie globale. Il y a fort à parier en effet que si, soudain, la pêche n’était plus autorisée, les dépenses ne disparaîtraient pas mais seraient réaffectées vers d’autres sites piscicoles ou vers d’autres activités récréatives (tennis, musique…). Les choses sont cependant différentes en matière d’économie locale. Les retombées peuvent avoir une forte incidence et il est important de les afficher. Deuxième idée ; idée utile d’un point de vue local.
Une troisième idée consiste à estimer la « valeur » associée au choix de la pêche au saumon. Si le fait d’empêcher les pêcheurs de pratiquer leur activité n’entraîne pas de perte pour l’économie globale, il existe toutefois une préférence pour la pêche par rapport à d’autres activités de remplacement.
Cette préférence a donc une valeur. Pour l’estimer, il est possible de se baser sur le choix des pêcheurs auxquels on demandera combien ils sont prêts à payer pour continuer à pêcher. On proposera ainsi soit d’ériger un barrage sur la rivière (il n’est plus possible de pêcher), soit d’instituer un « péage » dont on estime le montant, par exemple, à cinquante euros par jour de pêche. Les pêcheurs réfléchissant à l’intérêt qu’ils portent à leur activité peuvent, supposons-le, accepter.
On en conclura que le coût (ou l’avantage) de la pêche au saumon peut être évalué à (au moins) cinquante euros par jour de pêche. Troisième idée ; bonne idée.
Une quatrième idée veut qu’on estime la « valeur » du saumon auprès de la population : le « consentement à payer ». En effet, la logique précédente peut être étendue à l’ensemble de la population qui jouxte la rivière. Leurs dépenses pour le saumon sont nulles, mais le patrimoine écologique représente une valeur. La richesse créée repose ainsi sur le montant que la population serait prête à payer pour le retour du saumon.
Cette notion de « consentement à payer » (CAP) permet de mesurer la satisfaction que la population retire d’une amélioration de l’environnement. Cet avantage, qui ne peut être lu à travers les circuits économiques existants, est qualifié de « non marchand ».
La principale méthode utilisée pour évaluer le CAP est l’évaluation contingente. Elle s’appuie sur une enquête auprès d’un échantillon de la population, à qui un scénario fictif est proposé (illustré précédemment par le saumon) afin de l’inciter à déclarer la valeur qu’elle accorde à l’amélioration de l’environnement.

Qualité environnementale. La migration du saumon reste un exemple dont la fonction principale était d’introduire la notion « d’avantage » et de présenter les grandes lignes d’une méthode d’évaluation. Reste à savoir comment celle-ci peut être, plus largement, mise en pratique, notamment dans le cas des milieux aquatiques. La directive-cadre sur l’eau introduit l’évaluation économique dans la gestion de l’eau en France, notamment par la réalisation d’analyses coûts-avantages (ACA). Celles-ci permettent de fixer le niveau de qualité environnementale à atteindre. Dans ce cadre, la direction des Études économiques et de l’évaluation environnementale (D4E) du ministère de l’Écologie a donc proposé des outils facilitant l’évaluation des avantages non marchands (consentement à payer). À ce titre, elle a présenté une démarche progressive qui se décline en trois étapes.
Réfléchir à l’opportunité d’une
analyse coûts-avantages. Si nous poursuivons l’analogie avec le panier de la ménagère, le choix d’acheter un pain de campagne plutôt qu’une baguette est souvent qualitatif, sans recours au « consentement à payer ». L’opportunité d’une analyse coûts-avantages peut donc s’apprécier assez simplement par des indicateurs techniques décrivant des coûts et des avantages. L’analyse ne sera utile que dans certains cas, indécis. Elle permettra de dégager des arguments complétant la réflexion.
Recourir à des valeurs-guides. Au cas où il faut recourir à l’analyse coûts-avantages, le principe est d’utiliser des valeurs de « consentements à payer » produites en d’autres lieux. Cette approche rapide et simple peut toutefois être assez incertaine, c’est pourquoi les chiffrages doivent être davantage analysés comme des curseurs d’alerte que comme des données intangibles.
Pour la réalisation de cette étape, la D4E a présenté une synthèse des données de « consentement à payer » disponibles dans le domaine des milieux aquatiques sous la forme de tableaux de valeurs-guides.
Le choix d’une valeur s’appuie sur la ressemblance avec les cas décrits, du point de vue du contexte et du changement d’état des eaux.
Réaliser une étude locale. Une étude spécifique peut être envisagée si certains avantages peuvent difficilement être exprimés en euros à partir des valeurs-guides. Afin de faciliter la conduite de telles études (fondées sur la réalisation d’enquêtes), la D4E a publié des guides de bonnes pratiques pour la mise en œuvre des méthodes d’évaluation économique.
L’analyse économique constitue ainsi un outil d’aide à la décision, dont l’objectif est d’éclairer le débat. Il montre que la qualité de l’environnement n’est pas à appréhender des seuls points de vue des dépenses à engager pour la restaurer et des activités économiques générées, mais qu’elle doit encore être perçue par l’attachement que lui porte la société.

1. Volontairement simpliste puisque seuls les aspects environnementaux liés à la migration du saumon sont abordés tandis que les jeux d’acteurs sont simplifiés à l’extrême.

En savoir plus
Les tableaux de valeurs-guides et les guides de bonnes pratiques sont disponibles sur : www.economie.eaufrance.fr
rubrique « Coûts et bénéfices environnementaux » (resp. « Données de synthèse » et « Méthodes et documents-guides »).