Wisconsin - États-Unis

Les sciences citoyennes au service des gestionnaires

 

Espaces naturels n°31 - juillet 2010

Vu ailleurs

Coralie Beltrame
Tour du Valat
Vincent Devictor
CNRS
 

Les sciences participatives sont le résultat d’une longue tradition. L’expérience menée dans le Wisconsin met en exergue l’intérêt de cette collaboration entre chercheurs et grand public.

Les sciences citoyennes sont des programmes dans lesquels des scientifiques font appel à des volontaires afin de récolter des données naturalistes à l’échelle nationale ou locale. Les suivis reposent sur un échange d’informations (et de confiance) entre chercheurs et volontaires à différents stades de la démarche scientifique.
Cette façon de concevoir la récolte des données écologiques nous vient du monde anglo-saxon où les programmes de sciences citoyennes sont une longue tradition. Le Christmas bird count, par exemple, se déroule depuis 1900 en Amérique du Nord. Chaque année, du 14 décembre au 5 janvier, les volontaires sont invités à compter les oiseaux. L’action est coordonnée par une association et relayée localement par des coordonnateurs régionaux.

Au sein de la Beaver creek reserve (Wisconsin-USA), un centre scientifique (Citizen sciences center) suscite la rencontre des volontaires, enseignants, élèves et professionnels de l’environnement. Les programmes de la Beaver creek reserve connaissent un grand succès et des centaines de volontaires s’impliquent dans une large gamme de suivis : les plantes aquatiques envahissantes ou non, les oiseaux, les vers de terre, les insectes, les amphibiens mais aussi les habitats naturels ou la qualité de l’eau. Ils aident aussi les scientifiques dans certaines expériences de germination et de culture.
La Beaver creek reserve justifie son action en soulignant que le Wisconsin abrite beaucoup d’espèces et couvre une surface telle que les scientifiques seuls ne peuvent en assurer le suivi. Les participants aux programmes les aident donc à combler les lacunes existantes, en apprenant les techniques scientifiques de base et en les assistant dans le travail de terrain.

Une question-clé réside certes dans la qualité des données recueillies : sont-elles utilisables à des fins scientifiques ?
Plusieurs études (dont celle de Schmeller en 2009) mettent en évidence que la qualité de données récoltées par des amateurs et par des professionnels est comparable. En fait, une donnée n’est pas bonne ou mauvaise en soi. Une bonne donnée vient de la combinaison adéquate entre les objectifs de la recherche et le protocole d’échantillonnage.
C’est pourquoi les programmes de la Beaver creek reserve mettent un soin particulier à la mise en œuvre de ce protocole. Celui-ci n’est pas pensé uniquement du point de vue du spécialiste mais il intègre la vision du volontaire. Les critères de faisabilité sont grandement pris en compte comme l’intérêt que l’action est à même de susciter chez le volontaire.
Les différentes catégories d’amateurs, du débutant au naturaliste chevronné, sont considérées. Des guides pédagogiques très simples sont fournis et/ou des petites formations sont organisées afin de s’assurer que tous ont les bases nécessaires pour identifier les espèces. C’est ainsi, par exemple, que les participants sont formés à l’utilisation des bat box, détecteurs transcodeurs d’ultrasons per-
mettant le suivi acoustique des chauves-souris. Dans le même esprit, le site internet du centre renvoie vers l’USGS Frog quizz, lequel permet aux amateurs de tester leurs connaissances sur les chants des crapauds et des grenouilles.

Ces programmes sont des outils éducatifs et les messages passent d’autant mieux que les volontaires deviennent acteurs de la protection de la nature. Les problématiques environnementales sont alors perçues, vécues et appropriées par les participants.
De ce point de vue, l’exemple des plantes exotiques dans les cours d’eau et les lacs de la Beaver creek reserve est révélateur. Ici, le problème est majeur d’autant que les végétaux sont transportés sur les coques des bateaux. Aujourd’hui, après quelques années de sciences participatives, non seulement il est aisé de trouver des volontaires pour travailler sur ce thème, mais ceux-là adhèrent à des actions de vérification des coques des bateaux des particuliers. Le grand public est désormais devenu acteur de la sensibilisation aux problèmes écologiques.
Autres retombées de cette science : la découverte du métier des gestionnaires.
Ici, sous l’encadrement d’une personne travaillant à la réserve, les volontaires ont pu participer à l’élaboration des plans de gestion des lacs. Cette contribution s’est traduite par une responsabilisation des participants, laquelle a fortement aiguisé leur volonté de bien faire.
On peut noter aussi comment ces programmes permettent aux personnes de s’approprier l’espace naturel. Ainsi lors du Water action volunteer, des volontaires suivent un même cours d’eau d’avril à septembre, une fois par mois. Ils appartiennent aux gens qui connaissent le mieux le site. Un réseau convivial de femmes et d’hommes défendant l’espace naturel s’est ainsi créé qui permet, en grande partie, à la Beaver creek reserve d’assurer les suivis de terrains, d’entretenir chemins et bâtiments et d’accueillir le public.
Au chapitre du bilan, il faut encore ajouter que les professionnels ont acquis de nouvelles compétences, réclamées par l’animation de tels réseaux. Du reste, dans le Wisconsin, un salarié est directement responsable des volontaires.
Ce travail, qui impose d’acquérir des savoir-faire en communication (site internet, événements, retour des résultats), nécessite également une grande implication des salariés responsables des différents projets.