Capacité d’accueil

 

Espaces naturels n°36 - octobre 2011

Des mots pour le dire

Jean-Pierre Thibault
Animateur du groupe de travail Sites, paysages et espaces patrimoniaux à Icomos-France

 

La traduction d’un terme anglais fait souvent perdre une partie de ses nuances (durable = sustainable ?). Pourtant, le passage de carrying capacity à « capacité d’accueil » est plutôt un gain : la traduction-calque (capacité de charge) résulterait en effet d’une simple équation indiquant « combien il faut de petits Attila pour que l’herbe ne repousse plus » ou, comme dit le Muséum, quel niveau de « perturbation anthropique » va défier la résilience du milieu.
Évidemment, si trop de monde vient contempler le spectacle de la nature ou la beauté d’un paysage, il n’y aura bientôt qu’une nature appauvrie et un paysage dégradé. Mais la capacité d’accueil prend en compte deux autres dimensions :
• le site abrite une société locale qui assure souvent sa conservation par une exploitation agricole, pastorale ou forestière équilibrée. La prégnance des visiteurs (équipements d’accueil, modifications d’activités ou de comportements) ne doit pas mettre en danger cette communauté locale et, donc, la conservation du site.
• les visiteurs sont en attente d’une découverte, voire d’un émerveillement qu’ils auront peine à ressentir au milieu d’une foule compacte. Dès lors, on les verra parcourir le site au pas de charge, figure imposée de leur voyage. Les retombées économiques d’un tel tourisme seront réduites, alors qu’elles sont souvent nécessaires à la conservation du site et au bien-être de ses habitants.
La capacité d’accueil comporte donc trois dimensions :
• Économique : le nombre de visiteurs au-delà duquel l’émotion de chacun va décroître, et avec elle la qualité de l’économie touristique.
• Sociale : le nombre de touristes à partir duquel les habitants, envahis, vont changer de comportement (céder leurs terrains ou vendre des souvenirs…).
• Environnemental : le nombre de visiteurs au-delà duquel la nature perd en diversité et le paysage en singularité.
Combiner ces trois dimensions relève, non de la mathématique, mais du débat entre les différentes catégories intéressées à la conservation du site, à la vie sur place, ou à la visite des lieux. D’autant qu’il faut distinguer entre capacité d’accueil instantanée (ressentie par les visiteurs), journalière (subie par les habitants) et annuelle (analysée par les naturalistes).
Lien entre des approches généralement disjointes (socio-anthropologie, économie touristique, conservation des habitats, analyse paysagère), la notion de capacité d’accueil enrichit donc un concept auparavant unidimensionnel. Oserait-on renvoyer à nos amis anglo-saxons une welcoming capacity ?