Outre-mer

Vulnérabilité des territoires insulaires

 

Espaces naturels n°64 - octobre 2018

Le Dossier

Plantes et animaux endémiques des territoires insulaires Outre-mer sont de plus en plus touchés par les EEE. Des plans de gestion existent, des programmes de maîtrise, voire d’éradication pour les plus problématiques, sont mis en oeuvre. Mais les moyens manquent. Et la tâche est colossale.

Invasion du Miconia à Tahiti, Mont Marau. - Crédit : Jean-Yves Meyer

Invasion du Miconia à Tahiti, Mont Marau. - Crédit : Jean-Yves Meyer

Plus de 80 % de la biodiversité française se trouve en Outre-mer. Onze des 13 collectivités d’Outre-mer sont dans cinq des 35 points chauds de biodiversité mondiale. Ces deux faits expriment à eux seuls le concentré de biodiversité hébergé dans ces territoires et notre responsabilité collective pour la conservation et la gestion durable d’un patrimoine naturel exceptionnel. Cette richesse biologique terrestre et marine, souvent unique au monde avec un nombre très élevé d’espèces endémiques, est soumise à de nombreuses pressions, au premier rang desquelles figurent les espèces exotiques envahissantes (EEE). Dans les îles, les EEE constituent le premier facteur d’extinction d’espèces et de perturbation des écosystèmes. Selon la liste rouge mondiale de l’UICN1, elles sont impliquées dans 53 % des extinctions d’espèces recensées en Outre-mer et touchent 45 % des espèces considérées comme menacées dans ces territoires. À titre d’exemple, l’Escargot carnivore de Floride (Euglandina rosea) introduit à Tahiti dans les années 1970 est directement responsable de l’extinction d’au moins 60 espèces d’escargots arboricoles endémiques des îles de la Société (Polynésie française). La « sixième crise mondiale d’extinction » touche particulièrement les territoires insulaires ultramarins français !

DES INTRODUCTIONS MULTIPLES : ANIMALES COMME VÉGÉTALES, TERRESTRES ET MARINES

Les exemples d’EEE ne manquent pas : Chats harets, mangoustes, lapins, chèvres, cochons ensauvagés, Iguane vert, Gecko géant de Madagascar, Martin triste, bulbuls, petite Fourmi de feu et tout un cortège de plantes. Ces espèces sont impliquées dans des régressions dramatiques des populations de plantes et d’animaux indigènes ou endémiques. Une des conséquences à long terme des invasions biologiques est l’homogénéisation de la flore, de la faune et des paysages d’Outre-mer. Ainsi, il y a aujourd’hui autant d’espèces végétales introduites naturalisées à La Réunion et en Polynésie française que d’espèces indigènes ! Le milieu marin, moins documenté, n’est pas épargné. L’invasion des Antilles françaises par le Poisson-lion et la phanérogame Halophila stipulacea, les arrivées récentes du Crabe vert et de plusieurs espèces de tuniciers envahissants à Saint-Pierre-et-Miquelon, montrent que les invasions biologiques marines représentent un risque réel pour les écosystèmes marins et littoraux d’Outre-mer. Les risques d’introduction d’espèces sont permanents et n’ont jamais été aussi forts du fait des échanges commerciaux et du développement des transports maritimes et aériens. De nouvelles introductions sont répertoriées chaque année. Par exemple, en 2017, un frelon européen a été découvert en Martinique, une crevette d’aquarium et l’acarien parasite des ruches Varroa destructor à La Réunion. Saint-Barthélemy est un exemple assez marquant de cette situation. Alors que les importations de végétaux y sont déjà significatives en temps normal, leur volume s’est considérablement accru après le passage du cyclone Irma pour « revégétaliser » l’île. Accompagnant des plantes ornementales potentiellement envahissantes, ce sont plus de 80 espèces différentes de petits animaux exotiques (reptiles, mollusques et autres invertébrés) qui ont été retrouvés dans les containers, cachés dans les feuilles des plantes ou dans la terre des pots.

UNE GESTION RÉGLEMENTÉE

La gestion des EEE dépend étroitement du cadre réglementaire en vigueur. L’État est le garant de la conservation de la nature dans les cinq départements d’Outre-mer, à Saint-Martin, à Saint- Pierre-et-Miquelon et dans les TAAF. À ce titre, la publication en février 2018 des premiers arrêtés ministériels relatifs aux EEE pour la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion est une très bonne nouvelle. La Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et Saint-Barthélemy ont quant à elles leurs propres compétences environnementales et ont pris des dispositions spécifiques pour gérer les EEE depuis plusieurs années, voire décennies.

UN PROBLÈME MAJEUR, DES MOYENS INSUFFISANTS

Des programmes de maîtrise ou d’éradication sont conduits contre les espèces exotiques les plus problématiques pour les espèces indigènes et les écosystèmes, et dans la mesure où des suivis scientifiques sont réalisés, ces opérations ont eu des effets bénéfiques. Par exemple, à La Réunion, grâce aux actions de contrôle des populations de rats conduites depuis 2005 par la Société d’études ornithologiques de La Réunion (SEOR) et d’autres partenaires (SREPEN, ONF, Parc national, etc.), la population reproductrice de l’Échenilleur de La Réunion, un passereau endémique de l’île en danger critique d’extinction, est passée de 11 à 40 couples recensés entre 2005 et 2015 et les surfaces dératisées de 60 ha à 650 ha. Signalons aussi que c’est dans l’Outre-mer qu'ont été développés les trois seuls programmes français de lutte biologique contre des plantes envahissantes dans un but de conservation, celui contre le miconia en Polynésie française, le Raisin marron à La Réunion, et la Jacinthe d’eau en Nouvelle-Calédonie. Ces programmes montrent des résultats très encourageants. Des comités locaux ou des groupes de travail se sont constitués dans la plupart des Outre-mer avec pour objectifs de coordonner, organiser et hiérarchiser les actions relatives aux EEE. Parallèlement, des stratégies territoriales collégiales ont été élaborées et fournissent un cadre d’action. Cependant, malgré tous les efforts déployés et les progrès significatifs accomplis, les invasions biologiques continuent de se multiplier. Les faibles moyens humains et financiers dédiés, des capacités non-pérennes sur le long terme, des besoins de connaissance toujours forts et une sensibilisation insuffisante sont parmi les principales difficultés. La condition archipélagique de certains territoires (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Guadeloupe, etc.), qui oblige à concevoir une gestion des EEE à l’échelle inter-îles, est un obstacle supplémentaire.

Les territoires insulaires Outre-mer sont un atout pour la France, à la fois pour leur incroyable biodiversité mais aussi comme laboratoires naturels privilégiés pour développer des méthodes et outils de gestion des invasions biologiques et de restauration des habitats envahis. Cette situation exceptionnelle mérite d’être mieux connue, partagée et valorisée, notamment en France métropolitaine. Aujourd’hui, l’une des priorités importantes est le soutien et le renforcement des programmes d’actions sur le terrain en mobilisant tous les partenaires, en particulier les élus. Si la maîtrise des EEE les plus problématiques sur le long terme est absolument nécessaire pour éviter la raréfaction voire la disparition d’espèces endémiques, la priorité doit être donnée à des démarches préventives basées sur une politique volontariste en matière de biosécurité et sur la sensibilisation et la mobilisation de toutes les parties prenantes, dont le grand public, les acteurs économiques et les décideurs. Sur ce dernier point, face aux discours récurrents ne mettant en exergue que certains de leurs effets bénéfiques à court terme, il faut porter un message clair : oui les EEE représentent un problème majeur et direct sur la biodiversité et oui il faut apprendre à les gérer !

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(1) www.iucnredlist.org