Méthode

Les araignées au fil de la gestion

 
L’étude des assemblages d’araignées permet d’estimer la valeur conservatoire des habitats. Novatrice, cette méthode…

Espaces naturels n°31 - juillet 2010

Études - Recherches

Julien Pétillon
Universiteit Antwerpen
Boris Leroy
Université de Rennes 1
Alain Canard
Université de Rennes 1
Frédéric Ysnel
Université de Rennes 1

Aussi surprenant que cela puisse paraître, les araignées représentent un groupe particulièrement utile en tant qu’indicateurs de la qualité des habitats et des modes de gestion. Un ensemble de caractéristiques concourt à en faire un modèle biologique (largement sous-exploité) pour suivre et évaluer les pratiques de gestion.
Ainsi, les gestionnaires d’espaces naturels peuvent-ils estimer la valeur de conservation des habitats en fonction du nombre et de l’abondance des espèces d’aranéides inféodées qu’ils abritent. D’autant que la composition spécifique des communautés peut varier rapidement lorsque les biotopes se modifient.
Environ 1 600 espèces d’aranéides existent en France métropolitaine. Elles exploitent une grande diversité d’habitats, avec une densité de population et une richesse spécifique souvent remarquables.
Certaines espèces ont des exigences écologiques strictes, c’est pourquoi les bases de données sur la distribution des espèces permettent d’évaluer l’état du milieu. 
Pour ce faire, une méthode récemment mise au point s’appuie sur l’analyse de la rareté des espèces à l’échelle régionale ou nationale.

La première difficulté réside dans la constitution de l’échantillonnage. Quelles espèces d’aranéides va-t-on retenir pour une étude territorialement définie ?
La diversité des modes de vie des araignées suppose, pour connaître la composition en espèces locales, d’utiliser des méthodes variées et complémentaires entre elles. Le piégeage d’interception ou encore la chasse à vue ou au filet fauchoir constituent deux exemples que détaille l’encadré page ci-contre.

Deuxième étape, le choix des paramètres : que va-t-on regarder ? À quoi l’étude
va-t-elle s’intéresser ? Deux types de paramètres sont classiquement retenus : la richesse spécifique (le nombre d’espèces présentes dans le biotope) ou encore l’observation des populations d’espèces inféodées au milieu. L’usage de ces paramètres s’illustre par exemple dans une étude menée sur les marais salés de la baie du Mont-St-Michel (Ille-et Vilaine et Manche). L’observation d’une forte diminution de la richesse spécifique du biotope a mis en évidence l’impact négatif d’un sur-pâturage ovin sur les araignées. Cette observation, qui a été conduite par la comparaison de l’espace pâturé avec des zones témoins, montre également que la réponse des espèces inféodées aux milieux salins était, elle, contrastée1.
La méthode récemment développée va s’intéresser à un paramètre d’un autre ordre : la rareté relative de l’échantillon, à savoir l’assemblage des espèces colonisant un habitat donné. 
Pour ce faire, chaque espèce reçoit une notation : un poids de rareté. L’ensemble de ces poids pourra alors être additionné pour se traduire en un indice unique (entre 0 et 1) reflétant la valeur conservatoire de l’habitat étudié. Comment cela se déroule-t-il ?

Chaque espèce de l’échantillon va se voir attribuer un poids de rareté, disions-nous. Poids qui repose sur une formule mathématique susceptible de relativiser l’observation. Ainsi plus une espèce est rare, plus son poids est fort.
Ce calcul mathématique permet de relativiser l’occurrence des individus observés en fonction de la rareté locale de l’espèce.
Il permet également de moduler ce poids selon que l’espèce est rare ou commune. Ainsi, si l’on considère quatre espèces dont l’occurrence est respectivement de 2 %, 5 % (rare), 50 % et 55 % (commune), la différence de poids entre l’espèce présente à 2 % et celle à 5 % sera plus importante qu’entre les espèces de 50 et 55 %.
La formule mathématique suit donc une fonction exponentielle inverse.

Un indice de conservation peut alors être calculé. Il est la résultante de la somme des poids de rareté des espèces présentes, divisée par la richesse spécifique de l’assemblage.
L’indice 0 laisse apparaître que toutes les espèces sont très communes. Tandis que l’indice 1 traduit que toutes les espèces de l’assemblage ont un poids maximal, parce qu’elles sont très rares. La gestion conservatoire est optimale.

Afin d’évaluer la pertinence de ces indices, la méthode a été testée dans la Réserve naturelle des marais de Séné (Morbihan) (voir figure p. 36). Les résultats mettent en évidence que :
• le marais salé non pâturé figure parmi les 25 % meilleurs marais salés de l’Ouest de la France ;
• il en est de même pour la prairie pâturée mais seulement pour les espèces les plus rares ;
• les indices des marais salés pâturés et de la prairie sub-halophile non pâturée ne figurent pas parmi les 25 % meilleurs, et ne présentent donc pas d’intérêt particulier au niveau régional.
L’étude apporte ainsi la preuve que l’indice de conservation permet de faire une lecture globale et rapide de la valeur conservatoire des habitats. Elle démontre également l’intérêt des araignées dans le suivi des habitats en lien avec les priorités de gestion.

1. Le pâturage favorise certaines araignées de petite taille et à fort pouvoir colonisateur telles les Erigonidæ, cependant qu’il défavorise celles de plus grande taille à l’exemple des araignées-loups ou Lycosidæ.